Hors de mon nid douillet

[Doolores]

Hors de mon nid douillet

A 18 ans, ma plus grande crainte, plus grande même que la peur de la mort, était de me retrouver face à un auditoire petit ou grand, et d’être obligée de parler. Mon sentiment de vulnérabilité prenait sa source dans une expérience traumatisante que j’avais vécue à l’âge de 10 ans, lorsque j’avais accompagné au piano la chorale de ma classe pour le spectacle de Noël.

Très nerveuse, j’avais malencontreusement sauté une page de la partition. <Le garçon au tambour> j’avais embrouillé tout le monde et créé une belle confusion. Le souvenir de cet incident demeurait bien vivant dans ma mémoire. Je revoyais encore le directeur de la chorale essayer fébrilement de raccorder les membres de la chorale éberlués et l’accompagnatrice qui avait perdu complètement le tempo.

Le public avait ri de moi et j’avais été très mortifiée. Ce jour-là, je pris une décision irrévocable : je jurai de ne plus jamais remonter sur scène.
A ma dernière année d’études secondaires, je fus obligée de m’inscrire au cours d’expression orale. Plusieurs fois au cours de cette année-là, j’entendis une petite voix cerier en moi : Au secours…je vais avoir un public, mais j’ai perdu la voix. Chaque exposé oral représentait une épreuve extrêmement traumatisante pour moi, autant sur le plan physique qu’émotionnel. Cet exercice me donnait la nausée, ma langue s’alourdissait et mes genoux s’entrechoquaient.

J’écrivis un poème en hommage aux étudiants de ma classe. Et je dû réciter ce poème moi-même lors de la cérémonie de remise des diplômes. Devant un large auditoire devenu invisible dans l’obscurité, je montai sur la scène où je fus enveloppée par la lumière d’un projecteur.

Je prononçai les premières syllabes et tout le reste suivit facilement. J’entendis d’abord les applaudissements puis les lumières s’allumèrent et j’aperçus la foule. A ce moment, je compris que je ne serais jamais plus dominée par mes peurs, si profondes soient-elles.

On ne peut vivre des moments de gloire sans quitter son nid douillet. De tels événements ne peuvent se produire qu’à la condition de sortir de soi-même et de surmonter sa peur pour trouver la liberté.


Candis Fancher