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Foetus ou enfant? Débat forcé aux Communes
La motion d'un député conservateur relance le débat sur l'avortement, selon les libéraux
Hélène Buzzetti 7 février 2012 Canada
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Accorder des droits à un enfant non encore né «aurait pour effet de limiter les activités de la femme enceinte, de restreindre sa liberté de prendre des décisions relatives à sa santé et aurait des conséquences négatives sur ses possibilités d'emplois», a écrit la Cour suprême du Canada lors d'un jugement rendu en 1999.
Ottawa — Aussitôt dit, aussitôt désavoué. Le député conservateur Stephen Woodworth a rendu publique hier sa motion visant à reconnaître qu'un bébé non encore né est un être humain — avec les droits que ce statut confère —, mais son initiative a été immédiatement attaquée par le gouvernement, qui affirme ne pas vouloir rouvrir le débat sur l'avortement. Le vote aura quand même lieu.
«N'acceptez aucune loi qui dit que certains êtres humains ne sont pas des êtres humains», a déclaré le député de Kitchener Centre en conférence de presse hier matin. «Qu'importe quels résultats vous tentez d'obtenir avec une telle déformation de la réalité ou quelle philosophie vous défendez. L'histoire est remplie d'exemples désastreux de lois prétendant que certaines personnes ne sont pas des êtres humains».
M. Woodworth en a contre l'article 223 (1) du Code criminel canadien qui dit qu'un enfant est considéré comme un être humain lorsqu'il est «complètement sorti, vivant, du sein de sa mère». Il prétend ne pas vouloir directement débattre du droit à l'avortement, mais ce que le député se garde de dire, c'est que cet article est rédigé aux fins d'interprétation de la définition d'homicide, qui vient juste avant. L'article vise donc à déterminer si une personne commet un meurtre lorsqu'elle inflige des blessures entraînant la mort d'un enfant. Déplacer le curseur de la vie avant la naissance aurait pour effet de qualifier d'homicide toute action provoquant la mort d'un foetus, explique le criminaliste Jean-Claude Hébert. «On pourrait accuser quelqu'un qui fait un avortement d'avoir tué un enfant.»
M. Woodworth a donc déposé une motion qui, si elle est adoptée par la Chambre des communes, mènera à la création d'un comité devant entendre des experts et déterminer s'il faut réécrire cette définition. Le député demande au comité de répondre à quatre questions, qui incluent le fait d'exposer les conséquences légales de cette définition sur les droits humains fondamentaux d'un être non encore né. Le député a refusé de dire à partir de quel moment il estimait personnellement qu'un foetus devient un enfant, mais il a toujours utilisé le mot «enfant» plutôt que «foetus».
Droit des femmes
Dans les années 1990, trois causes ont porté précisément sur ce sujet et, chaque fois, les tribunaux ont réaffirmé l'autonomie de la femme sur son corps, occupé ou non par un bébé. En 1996, Brenda Drummond avait été acquittée par la Cour supérieure de l'Ontario de tentative de meurtre. La femme de 28 ans avait tiré avec une carabine sur son enfant non né.
En 1997, la Cour suprême du Canada avait donné raison à G., une toxicomane de 23 ans enceinte, que les autorités voulaient obliger à suivre une cure. La juge Beverley McLachlin, aujourd'hui juge en chef, avait écrit qu'obliger la femme à suivre un traitement équivaudrait à accorder des droits au foetus. Cette réforme «aurait un effet immédiat et draconien sur la vie des femmes», d'autant plus qu'il serait difficile d'établir la limite: s'attaquerait-on ensuite à sa consommation d'alcool? De tabac? À son activité physique trop intense?
En 1999, enfin, cette même Cour suprême avait rejeté la cause de Ryan Dobson, six ans, qui poursuivait sa mère pour le choc subi pendant qu'il était encore dans son ventre et qui l'avait laissé lourdement handicapé. La poursuite visait à obtenir un dédommagement de l'assureur de la mère. Accorder des droits à un enfant non encore né au moment des faits «aurait pour effet de limiter les activités de la femme enceinte, de restreindre sa liberté de prendre des décisions relatives à sa santé et aurait des conséquences négatives sur ses possibilités d'emplois», avait écrit le tribunal, sans compter que «les décisions les plus banales de la vie quotidienne de la femme enceinte pourraient faire l'objet d'un examen par les tribunaux».
C'est mon affaire
Interrogé sur ses motivations profondes, le député conservateur a fini par répondre que cela n'était pas pertinent. «Vous ne me questionnez pas sur mes intentions, vous me questionnez sur mes motivations intérieures, a-t-il dit. Mon intention est très claire: c'est d'amener le Parlement à étudier la preuve scientifique du XXIe siècle pour mettre à jour une définition d'être humain vieille de 400 ans. Pourquoi je le fais n'est pas vraiment pertinent à cette question de politique.»
De même, les conséquences (sur les femmes) d'un éventuel changement à la définition d'enfant ne devraient pas dicter l'issue du débat à son avis. «Si la vérité a un sens pour nous, nous devons suivre la trace des faits, quel que soit l'endroit où ils nous mènent.» Il a refusé de se laisser aspirer dans le débat sur l'avortement, bien qu'il reconnaisse être personnellement pro-vie. «Une fois qu'on décidera si un enfant est un être humain, on pourra avec une conversation sur d'autres enjeux.»
Le gouvernement a été prompt à désavouer son député. Alors même que se déroulait la conférence de presse, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a diffusé un communiqué de presse disant que «les motions d'initiative parlementaire sont examinées conformément aux règles du Parlement. Le premier ministre a été très clair: notre gouvernement ne rouvrira pas ce débat».
L'opposition n'en croit pas un mot. «M. Harper devrait tout simplement dire ouvertement qu'il retire ce projet-là et ça finit le débat», a déclaré la chef intérimaire du NPD, Nycole Turmel, qui rappelle que M. Harper «a un très grand contrôle sur ses députés». Même son de cloche de la députée bloquiste Maria Mourani, qui doute que cette sortie n'ait pas reçu l'approbation des bonzes conservateurs. Le chef libéral par intérim, Bob Rae, s'est dit convaincu que cette motion ne serait jamais adoptée. Il estime, n'en déplaise au premier ministre, que cette motion fait en sorte qu'«il y aura un débat sur la question de l'avortement».
Le groupe pro-vie Campaign Life Coalition s'est réjoui de cette sortie du député. Mais il met en garde les élus contre une éventuelle «approche gestationnelle». «La preuve scientifique est claire: la vie commence à la conception», a déclaré Mary Ellen Douglas, la directrice nationale. M. Woodworth, pour sa part, a rejeté le critère de la «viabilité» du foetus.
La motion de M. Woodworth sera selon toute vraisemblance débattue une première heure vers la fin mars, puis une seconde heure six semaines plus tard. Le vote aura lieu à ce moment-là.
''C'est impossible" dit l'orgueil. "Trop risqué" dit l'expérience. "Ça ne marchera pas "dit la raison. " Fais confiance" murmure le coeur.