AFP:
L'ADN, une révolution pour réveiller les affaires non élucidées
Petit Grégory, disparus de l'Isère: les affaires en sommeil non élucidées, ou "cold cases", sont désormais repassées au peigne fin des nouvelles techniques de recherches d'ADN, souvent juste avant leur prescription, avec des résultats parfois spectaculaires.
C'est l'affaire Grégory Villemin, le "cold case" le plus célèbre de France, qui a ouvert la voie, en 2000, lorsque Me Thierry Moser, l'avocat des parents du garçonnet jeté en 1984 dans la Vologne, a demandé à rechercher des traces d'ADN sur le demi-timbre d'une lettre du "corbeau".
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L'analyse n'a rien donné, comme du reste les suivantes, sur les cordelettes ou les vêtements de Grégory. La tâche a été compliquée par le mauvais état des scellés, et le manque de précautions avec lesquelles ils ont été manipulés à l'époque par les enquêteurs ou même les journalistes. Mais le dossier n'est à ce jour toujours pas refermé.
Entretemps, justice, police et gendarmerie ont fait leur révolution - culturelle et scientifique - avec une comparaison désormais systématique des empreintes ADN relevées, et un fastidieux travail de listage des affaires non résolues.
Une seule cellule suffit
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"Avec les progrès sur l'ADN, on peut maintenant retrouver des traces ADN sur des scellés bien conservés" bien des années après, souligne le colonel Marc de Tarlé, chef du bureau à la Direction générale de la gendarmerie nationale.
La technique, dont le coût était autrefois exorbitant, s'est démocratisée: une vingtaine d'euros pour un profil génétique, dont les résultats peuvent être désormais connus dans la journée.
C'est ainsi qu'on a pu élucider en 2010 le meurtre, six ans auparavant dans le Val d'Oise, de Delphine Roussel, grâce à des prélèvements d'ADN sur des vêtements de l'étudiante placés sous scellés. Son auteur a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en janvier 2013.
Encore inexploitables hier, certaines traces le deviennent grâce aux nouvelles techniques: des empreintes ADN peuvent désormais être décelées sur une seule cellule "et avec des analyses sur de plus en plus de supports", relève le commissaire de police Cyril Gout, du service central de l'identité judiciaire.
C'est ainsi que l'enquête sur les "disparus de l'Isère", quatre garçons et cinq filles tués ou disparus entre 1983 et 1996, a connu un tournant spectaculaire en juillet 2013, avec la mise en examen d'un homme de 37 ans pour deux de ces meurtres.
Ce sont des analyses effectuées par un laboratoire de Bordeaux qui ont permis de le confondre, à partir de traces ADN prélevées sur les scènes des crimes que la technique, à l'époque des faits, n'était pas encore en mesure d'isoler.
Ces progrès laissent de nombreux espoirs aux familles des victimes.
Les proches de Nelly Haderer, une jeune femme assassinée sur une décharge près de Nancy en 1987, ont ainsi convaincu la Justice de procéder à des analyses sur des scellés en 2011, sur lesquels de l'ADN a été retrouvé, et qui sont actuellement en cours d'étude.
Des fichiers dans le collimateur de la CEDH
"J'ai motivé ma demande au juge en faisant référence à l'affaire Grégory. Et je dois reconnaître que la médiatisation m'a aidé", admet leur avocat, Me Pierre-André Babel, qui souligne que "si la matière humaine s'efface avec le temps, la technologie, elle, progresse".
Ces résolutions tardives de dossiers doivent grandement leur succès au fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), créé en 1998 pour les seules infractions sexuelles, puis constamment élargi à un nombre croissant de crimes et délits.
"Nous recueillons 30.000 empreintes par mois, pour avoir aujourd'hui 2.130.000 profils, dont 172.000 traces non résolues", résume le commissaire Gout.
C'est "l'ensemble des profils génétiques", prélevés à la fois sur les suspects que sur les scènes d'infraction qui est ainsi recueilli, précise le commissaire.
Cette technique systématisée a permis 24.000 rapprochements en 2012. A l'instar de cet homme soupçonné de cambriolage, dont l'ADN s'est révélé correspondre à un ADN commun à une quinzaine de dossiers d'agressions sexuelles et de viols sur mineurs commis entre 1990 et 2003.
Utile, le fichage d'un nombre croissant d'empreintes est néanmoins dans la ligne de mire de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui a jugé en avril que les autorités françaises ne pouvaient pas conserver les empreintes digitales d'une personne non condamnée.
La CEDH, qui statuait sur le cas d'un homme inquiété, mais finalement non condamné, pour des vols de livres, avait alors estimé que le refus d'effacer ses empreintes "reviendrait en pratique à justifier le fichage de l'intégralité de la population présente sur le sol français, ce qui serait assurément excessif et non pertinent".
Destructions de scellés
A l'échelle nationale la gendarmerie recense environ une centaine de "living cases", des affaires pour lesquelles des investigations sont en cours; 150 "sleeping cases", suivis en fonction des éléments nouveaux; et 350 "cold cases", sans actes d'enquête mais non prescrits.
Pour espérer les résoudre, un défi est de "veiller à ce que l'emplacement des scellés d'une affaire soient bien répertoriés dans tel ou tel greffe de tribunal", relève le colonel Marc de Tarlé.
Certains "colds cases" n'ont ainsi pas pu bénéficier de recherches ADN, comme le double-meurtre de Montigny-lès-Metz, dont une partie considérable des scellés a été soit détruite, soit égarée au cours de la procédure à l'issue de laquelle Patrick Dils a été innocenté. Ils ont fait défaut à la nouvelle instruction visant cette fois le tueur en série Francis Heaulme.
Certaines affaires se heurtent enfin à des problèmes d'argent, comme celle des bébés de Galfingue (Haut-Rhin), dont les corps décomposées avaient été retrouvés dans des sacs poubelle en 2003 dans une forêt alsacienne.
Dans cette affaire, l'avocat des familles Thierry Moser a fait valoir les progrès scientifiques pour solliciter une réouverture du dossier, après un non-lieu en 2009. Le procureur de Mulhouse "m'a répondu qu'il n'est pas opposé à ma demande, mais qu'il devait au préalable obtenir l'accord du Conseiller financier de la Chancellerie", raconte l'avocat.
"Les caisses sont vides", déplore Me Moser : "C'est scandaleux au regard des nécessités d'une bonne administration de la justice".