Petits bonheurs marchands

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Manon
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Petits bonheurs marchands

#1 Message par Manon »

Petits bonheurs marchands

Au léger ronflement de la ville assoupie,
On devine le bruit du métro frémissant,
Quelques rares passants vont d’un pas engourdi
Se fondre au ralenti d’un samedi naissant.

Minuscule au milieu d’une ample capitale,
Le Plateau Mont-Royal au rythme paresseux
Surprend le monstrueux centre-ville nodal
Comme un pont décimal sur un fleuve noueux.

Les façades aux yeux encore ensommeillés,
Leurs paupières scellées s’entrouvrant peu à peu,
Le murmure curieux des auvents déployés,
Égaient la matinée de froissements soyeux.

Conquis par le parfum des petits déjeuners,
Le fumet de café capiteux comme aucun,
Le cachet peu commun de ce joli quartier,
Certains vont apaiser leur estomac à jeun.

Bien en vue côté nord, terrasse à ciel ouvert,
Un resto de première au rustique décor,
Musique en fond sonore, étincelants couverts,
Couronne d’un dessert le repas qu’on dévore.

Dehors, sur le palier où des gamins jouaient,
Émus, on remarquait la touchante beauté
D’un enfant étonné dont le regard brillait,
Surpris de son reflet sur la vitre bombée.

Au coin de l’avenue, un vieillard édenté,
En habits rapiécés, décharné et fourbu,
Palpait le contenu de sa poche trouée,
Ces rares sous glissés dans sa paume tendue.

Depuis l’observatoire au sommet du musée,
Nous cherchions, intrigués, entendant sans la voir,
En retrait du trottoir, d’un îlot isolé,
Une église oubliée sonnant son désespoir.

Dans le parc, un clochard somnolait sur un banc
Près de jeunes dansant au son d’une guitare.
Était-ce par hasard ? Mais à ce même instant,
Se formait dans l’étang un ballet de canards.

Quand le peintre, saisi devant son chevalet,
Esquissa quelques traits d’un pinceau attendri
Par la grâce infinie que la nature offrait,
Un chef d’œuvre naissait sur la toile ravie.

La poitrine serrée et pris au dépourvu,
Le souffle suspendu, nous entendions jouer
Un violon transporté d’émotion pure et nue,
Nos sanglots retenus par son archet trempé.

Puis un ange est passé et sans savoir comment
On se trouve devant un guichet occupé,
Bien qu’un peu fatigués, on papote gaiement,
Assis en attendant l’arrivée du cocher.

Nous acquittons le prix d’un parcours en calèche
Quand le cheval revêche impose son avis,
Tout en mordant un fruit et buvant de l’eau fraîche,
Sournoisement il lèche un minois déconfit.

Protégés d’un soleil trop chaud pour le printemps,
La capote filtrant ce matin de merveilles
À nul autre pareil, vers les bazars marchands,
Nous fendons l’océan comme mer en bouteille.

« VHS ou CD et livres d’occasion,
Nous vendons, achetons, échanges acceptés »
Lisait-on, emportés par le lent tourbillon
De ces nombreux piétons flânant à petits pieds.

D’une ambiance feutrée, tel une cathédrale
Incite au sépulcral silence impressionné,
La boutique bondée se veut, à Montréal,
L’infinitésimal lieu de sérénité.

Du plancher au plafond, en rangs superposés,
Des soldats feuilletés formant la garnison
Arborent leurs jalons en tranches reliées,
Au garde-à-vous, livrés à notre sélection.

C’est ainsi qu’enchantée par un si bel accueil,
En franchissant le seuil sur la pointe des pieds,
Mon cœur s’est enflammé en croisant un recueil,
Qui me clignait de l’œil de la première allée.

Bien qu’à peine entrouvert, il m’enivre pourtant,
Ses proses coudoyant des sonnets saouls de vers,
À l’instar de ces fiers alexandrins comptant
Sur douze pieds rimant, entrecroisés pour plaire.

Mon regard captivé repérait le passage
De lecteurs sans visage, un quatrain annoté,
Le signet embusqué au milieu de l’ouvrage
Surveillant une page au recoin écorné.

J’ai porté mon bouquin soigneusement rangé
Dans mon sac, la journée trottinait vers demain
Lorsque, sur le chemin à rebours, j’ai trouvé
Un comptoir camouflé entre deux magasins.

Des souvenirs d’antan, une lampe, un coffret,
Une nappe au crochet, un châle élégamment
Disposé près d’un banc d’un autrefois parfait,
Le passé infusait sa mémoire au présent.

Dans un état second le temps de cet ailleurs,
Réalisant que l’heure avançait à grands bonds,
À regrets nous partions, la nostalgie au cœur,
Étrangement meilleurs à quelque part, au fond.

Le feutre de la nuit bordait mon train allant
Vers mon île en berçant ma douce poésie.
Et l’âme épanouie plus que jamais avant,
Comme un petit enfant, je me suis endormie.

Manon
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poussiere d'étoiles
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#2 Message par poussiere d'étoiles »

wow!! vraiment super cute
touchant également ;)
rire ca dilate la rate et ca détend tandis qu'être fru ca stress 210 muscles du visage alors on garde le sourire
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InspecteurSpecteur
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#3 Message par InspecteurSpecteur »

Très beau poème Manon.
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Depuis six mille ans, la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

George Clémenceau
Manon
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#4 Message par Manon »

Merci à vous deux,

Vos commentaires s'ajoutent au souvenir de cette merveilleuse journée passée au Plateau Mont-Royal.

Manon
Mieux vaut donner d'une seule main que de prier à deux mains.
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