Tu parlais de gâtés Calimero.
Celui-ci ne s'est pas suicidé.
Société - le 26 Novembre 2010
Enquête Discriminations
Chibanis contrôlés Les retraités immigrés assignés à résidence
Pour être retournés plus de six mois par an au pays, des retraités immigrés
se voient exiger
le remboursement
des prestations perçues au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Reportage à Toulouse. Toulouse, envoyée spéciale.
Au récit de son histoire kafkaïenne, les yeux de Mohammed Mehdi s’embuent de colère, d’amertume et de lassitude. Ce vieil immigré de Toulouse, arrivé en France en 1952, a trimé toute sa vie, loin des siens, restés en Algérie. Des décennies de dur labeur dans les chemins de fer, les travaux publics et mille autres métiers, qui lui ouvrent droit à une bien chiche retraite : 636 euros, complétés, jusqu’en novembre 2009, par l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, l’ex-minimum vieillesse). En juin 2009, la vie de Mohammed Mehdi bascule. Comme les autres locataires du foyer Fronton, à Toulouse, il reçoit alors une convocation de la caisse régionale d’assurance maladie de Midi-Pyrénées (devenue, depuis, la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, Carsat), lui demandant de se présenter avec son passeport. « Ils ont photocopié toutes les pages, en me demandant si j’avais des maisons en Algérie », relate-t-il. Cinq mois plus tard, il reçoit une lettre qui le fait défaillir. La missive l’informe sèchement d’un « trop perçu de 22 885,39 euros » sur dix ans qu’il est sommé de rembourser sur-le-champ. Pour cause de séjours au pays jugés trop longs par l’administration, qui en a relevé la fréquence et la durée par l’examen des tampons sur le passeport contrôlé. Pour percevoir l’Aspa, les retraités doivent en effet justifier d’un séjour de six mois en France. Quant aux prestations sociales gérées par la caisse d’allocations familiales, comme l’aide personnalisée au logement (APL), elles sont conditionnées à huit mois au moins de résidence en France. Des règles qui, théoriquement, s’appliquent à tous. Mais qui s’avèrent, dans les faits, autrement plus rigides et contraignantes s’agissant des immigrés. Comme Mohammed Mehdi, ils sont nombreux, à Toulouse, à faire l’objet de tels redressements de la Carsat, de la caisse d’allocations familiales ou encore de la Mutualité sociale agricole. Ces « chibanis », comme on désigne les vieux au Maghreb, se voient réclamer entre 1 000 et 23 000 euros. Pour l’État, l’économie est ridicule. Pour eux, le fardeau de cette « dette » est d’autant plus insupportable qu’il est alourdi par le poids de l’arbitraire et de l’injustice. « De façon lâche et discriminatoire, on a ciblé une population dont on savait qu’elle assurerait une pêche fructueuse aux inspecteurs de la Carsat », dénonce Jérôme Host, travailleur social à la Case de santé, un lieu d’accueil et d’accompagnement médical ouvert aux vieux immigrés, place Arnaud-Bernard. « Discriminatoire » : c’est aussi le jugement de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde). Celle-ci dénonçait, le 9 juin 2009, dans un communiqué, les contrôles de passeports effectués par la CAF auprès des résidents du foyer Adoma (ex-Sonacotra) d’Argenteuil. « Le caractère discriminatoire fondé sur la nationalité est prohibé par la Convention européenne des droits de l’homme », rappelait la Halde, avant de « recommander » à la CAF du Val-d’Oise « des méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination ». Recommandations passées à la trappe ? À la Mutualité sociale agricole comme à la CAF de Haute-Garonne, sollicitées, on fait mine de ne pas connaître le dossier.
« Rien ne justifie cet acharnement contre des vieux vivant dans neuf mètres carrés, seulement coupables d’être allés voir leur famille au pays », tranche Jérôme Host. L’indignation est partagée par les militants du collectif transgénérationnel Justice et dignité pour les chibanis, crée en solidarité avec ces retraités immigrés il y a un an, pendant le festival Origines contrôlées organisé chaque année à Toulouse par le Tactikollectif. Un précieux appui pour les chibanis, qui ont occupé la Carsat de Midi-Pyrénées le 15 mars, battu le pavé en direction de la préfecture le 28 juin et pris part, avec leur propre cortège, aux manifestations contre la réforme des retraites. Une pétition demandant l’annulation de toutes les procédures fondées sur des contrôles discriminatoires et le rétablissement des prestations supprimées (1) a déjà recueilli de nombreuses signatures. En dépit de cette mobilisation, l’État est resté, jusqu’ici, inflexible. La Cram a seulement concédé, avant l’été, un « moratoire » de trois mois sur les dettes contestées. Le temps d’appliquer à ces dossiers des procédures classiques de recours amiable qui se sont toutes soldées par des rejets. « L’assistante sociale me dit de payer petit à petit, mais je ne perçois plus que 636 euros, désespère Mohammed Mehdi. Je me serre la ceinture pour payer le loyer de 383 euros et envoyer un peu d’argent à ma femme et mes enfants. Après ça, il ne me reste rien. Même si on me menaçait de prison, je ne pourrais pas payer. Je n’en dors plus la nuit, je tremble dès que je m’approche de la boîte aux lettres. » À soixante-quatorze ans, le vieil homme ne comprend pas qu’on lui interdise ainsi la quiétude à laquelle il aspire après une vie de travail. Lui continue de prendre part à toutes les mobilisations. D’autres, de guerre lasse, ont finalement opté pour un retour définitif au pays.
Place Arnaud-Bernard, une tente a été dressée toute cette semaine, à l’occasion du festival Origines contrôlées, en solidarité avec ces chibanis. Marteaux piqueurs et pelles en main, les vieux, dans ce théâtre improvisé, miment l’exil, la condition ouvrière… et le mépris de ces institutions qui les désignent comme des fraudeurs, les assignant à résidence.
http://humanite.fr/25_11_2010-chibanis- ... nce-458617