L'intolérance
Publié : mar. nov. 10, 2009 1:07 pm
Tolérance, indifférence, intolérance
mardi 24 février 2004, par Jean-François Jobin
Le monde contemporain nous donne le spectacle de deux attitudes fort différentes, mais inacceptables l’une et l’autre : la montée de l’intolérance d’une part, et de l’autre la tolérance qui s’accommode de tout et de n’importe quoi.
On devient intolérant dès qu’on cesse d’accepter que les autres puissent être d’un avis différent sur quelque chose qui nous tient à coeur et que nous considérons comme une vérité. C’est toujours liée à une conviction profonde à caractère dogmatique, et je serai d’autant plus persuadé de détenir la vérité que les éléments qui composent ma conviction seront plus injustifiables. À plus forte raison si je suis par surcroît de mauvaise foi... Je suis intolérant dès le moment où je présente comme des dogmes et des certitudes établies des jugements qu’il est impossible de contrôler par l’expérience, et que j’exige des autres qu’ils les acceptent comme tels.
On ne s’étonnera donc pas de constater que les gens les plus intolérants se rencontrent dans les deux domaines où les incertitudes sont les plus grandes, la religion et la politique, ce qu’on vérifiera aisément à travers l’histoire si l’on considère que l’intolérance se mesure au nombre de bûchers qu’elle allume et à la manière dont elle dégarnit les rangs de ceux qu’elle tient pour ses ennemis. C’est donc à bon droit qu’on se méfiera des gens qui prétendent connaître le sexe des anges ou le sens de l’histoire, à la suite d’on ne sait quelle révélation ou pseudo-science. Cela ne signifie évidemment pas - qu’on me comprenne bien - qu’il faille pour autant renoncer à la religion ou à faire de la politique, et cela ne signifie pas davantage qu’il faille s’abstenir d’essayer de faire partager ses convictions : l’essentiel est ici de considérer l’autre comme un interlocuteur, et non comme un ennemi à abattre au cas où il ne serait pas d’accord avec moi.
Pourquoi alors ai-je dit tout à l’heure que la tolérance généralisée est tout aussi inacceptable que l’intolérance ? Faut-il être intolérant avec les intolérants ? Cette formule, avec laquelle on essaie souvent de coincer ceux qui parlent de la tolérance, n’est qu’un jeu de mots vide de sens ; c’est aussi le paravent derrière lequel se retirent ceux qui ne se sentent pas immédiatement concernés par les problèmes qui sont en cause, que ce soit par commodité, par lâcheté ou encore par lassitude. Paravent bien fragile, parce que ma démission du débat ne va pas supprimer le débat, mais donner un avantage aux intolérants.
Bien sûr, je puis considérer, comme Cioran dans une magnifique préface à la réédition au Mahomet de Voltaire, machine de guerre contre l’intolérance religieuse, qu’au fond toutes les idées se valent, qu’elles sont interchangeables, et qu’il faut mettre toutes les intolérances au compte d’un fond bestial de l’homme qui le pousse à vouloir à tout prix faire du prosélytisme.
Que dois-je faire si j’ai, moi aussi, des convictions ou des certitudes auxquelles je tiens, et si mes certitudes se heurtent à celles de l’intolérant d’en face ? La tentation est grande de répondre à l’arrogance par l’arrogance, et à l’intolérance par l’intolérance en disant, comme Claudel, que la tolérance, il y a des maisons pour ça. Mais je tombe alors dans le travers que je dénonce chez l’autre...
Mais si je refuse de retirer mes billes en acceptant de tout tolérer, si je n’ai pas d’atomes crochus avec le pessimisme désespéré de Cioran, si enfin je me refuse de me soumettre à la loi de l’intolérant parce que je sais trop bien ce qu’il en a coûté à l’humanité de se plier à cette logique infernale, que me reste-t-il ?
Il me reste à refuser, bien entendu, l’intolérance ; mais aussi à affirmer mes propres convictions, conscient de la relative incertitude de mes certitudes. Convoquer l’adversaire au débat, et prendre le risque de devoir réviser mes propres positions au cas où je devrais les découvrir insoutenables sur tel ou tel point.
Car enfin, si l’on veut mener une existence digne de ce nom, on doit trouver le moyen d’affirmer ses propres valeurs, dans le cadre d’une position cohérente et défendable. La démission ou l’intolérance ne doivent pas être les prétextes de manquer une occasion historique, jamais vue : nous vivons une époque où tout est possible, une époque qui laisse à la pensée une liberté sans précédent. Le travail des générations antérieures nous a libérés de presque tous les tabous et interdits. Tout est possible, la liberté la plus grande nous échoit. Cela ne va peut-être pas durer. Et si l’on peut dire que jamais la pensée n’a eu autant de liberté qu’à notre époque, tâchons de faire en sorte qu’on ne dise pas plus tard à notre propos que jamais autant de liberté ne s’est accompagnée d’autant de pauvreté et d’indigence de la pensée.
mardi 24 février 2004, par Jean-François Jobin
Le monde contemporain nous donne le spectacle de deux attitudes fort différentes, mais inacceptables l’une et l’autre : la montée de l’intolérance d’une part, et de l’autre la tolérance qui s’accommode de tout et de n’importe quoi.
On devient intolérant dès qu’on cesse d’accepter que les autres puissent être d’un avis différent sur quelque chose qui nous tient à coeur et que nous considérons comme une vérité. C’est toujours liée à une conviction profonde à caractère dogmatique, et je serai d’autant plus persuadé de détenir la vérité que les éléments qui composent ma conviction seront plus injustifiables. À plus forte raison si je suis par surcroît de mauvaise foi... Je suis intolérant dès le moment où je présente comme des dogmes et des certitudes établies des jugements qu’il est impossible de contrôler par l’expérience, et que j’exige des autres qu’ils les acceptent comme tels.
On ne s’étonnera donc pas de constater que les gens les plus intolérants se rencontrent dans les deux domaines où les incertitudes sont les plus grandes, la religion et la politique, ce qu’on vérifiera aisément à travers l’histoire si l’on considère que l’intolérance se mesure au nombre de bûchers qu’elle allume et à la manière dont elle dégarnit les rangs de ceux qu’elle tient pour ses ennemis. C’est donc à bon droit qu’on se méfiera des gens qui prétendent connaître le sexe des anges ou le sens de l’histoire, à la suite d’on ne sait quelle révélation ou pseudo-science. Cela ne signifie évidemment pas - qu’on me comprenne bien - qu’il faille pour autant renoncer à la religion ou à faire de la politique, et cela ne signifie pas davantage qu’il faille s’abstenir d’essayer de faire partager ses convictions : l’essentiel est ici de considérer l’autre comme un interlocuteur, et non comme un ennemi à abattre au cas où il ne serait pas d’accord avec moi.
Pourquoi alors ai-je dit tout à l’heure que la tolérance généralisée est tout aussi inacceptable que l’intolérance ? Faut-il être intolérant avec les intolérants ? Cette formule, avec laquelle on essaie souvent de coincer ceux qui parlent de la tolérance, n’est qu’un jeu de mots vide de sens ; c’est aussi le paravent derrière lequel se retirent ceux qui ne se sentent pas immédiatement concernés par les problèmes qui sont en cause, que ce soit par commodité, par lâcheté ou encore par lassitude. Paravent bien fragile, parce que ma démission du débat ne va pas supprimer le débat, mais donner un avantage aux intolérants.
Bien sûr, je puis considérer, comme Cioran dans une magnifique préface à la réédition au Mahomet de Voltaire, machine de guerre contre l’intolérance religieuse, qu’au fond toutes les idées se valent, qu’elles sont interchangeables, et qu’il faut mettre toutes les intolérances au compte d’un fond bestial de l’homme qui le pousse à vouloir à tout prix faire du prosélytisme.
Que dois-je faire si j’ai, moi aussi, des convictions ou des certitudes auxquelles je tiens, et si mes certitudes se heurtent à celles de l’intolérant d’en face ? La tentation est grande de répondre à l’arrogance par l’arrogance, et à l’intolérance par l’intolérance en disant, comme Claudel, que la tolérance, il y a des maisons pour ça. Mais je tombe alors dans le travers que je dénonce chez l’autre...
Mais si je refuse de retirer mes billes en acceptant de tout tolérer, si je n’ai pas d’atomes crochus avec le pessimisme désespéré de Cioran, si enfin je me refuse de me soumettre à la loi de l’intolérant parce que je sais trop bien ce qu’il en a coûté à l’humanité de se plier à cette logique infernale, que me reste-t-il ?
Il me reste à refuser, bien entendu, l’intolérance ; mais aussi à affirmer mes propres convictions, conscient de la relative incertitude de mes certitudes. Convoquer l’adversaire au débat, et prendre le risque de devoir réviser mes propres positions au cas où je devrais les découvrir insoutenables sur tel ou tel point.
Car enfin, si l’on veut mener une existence digne de ce nom, on doit trouver le moyen d’affirmer ses propres valeurs, dans le cadre d’une position cohérente et défendable. La démission ou l’intolérance ne doivent pas être les prétextes de manquer une occasion historique, jamais vue : nous vivons une époque où tout est possible, une époque qui laisse à la pensée une liberté sans précédent. Le travail des générations antérieures nous a libérés de presque tous les tabous et interdits. Tout est possible, la liberté la plus grande nous échoit. Cela ne va peut-être pas durer. Et si l’on peut dire que jamais la pensée n’a eu autant de liberté qu’à notre époque, tâchons de faire en sorte qu’on ne dise pas plus tard à notre propos que jamais autant de liberté ne s’est accompagnée d’autant de pauvreté et d’indigence de la pensée.