Chine: taxi à Shanghai, 20 heures d'affilée au compteur
(AFP) - "C'est crevant! Parfois la nuit, je suis tellement épuisé que je butte contre le trottoir en roulant", dit Nie Haiming, qui, comme l'écrasante majorité des chauffeurs de taxi de Shanghai, travaille 20 heures par jour pour s'en sortir.
Sur les échangeurs futuristes de la métropole de 23 millions d'habitants, comme les longs boulevards ou les rues tortueuses bordées de platanes des anciennes concessions -- tous régulièrement congestionnés -- Nie avale en moyenne 500 km par jour.
Pour ses 3.000 à 4.000 yuans (345 à 460 euros) mensuels, il fait souvent presque le tour du cadran dans sa Volkswagen Santana, ne dort pas, et s'arrête rapidement dans une gargote pour manger.
Ce Shanghaïen vit au même régime que la plupart des 100.000 taxis de la bouillonnante capitale économique chinoise, qui travaillent une journée sur deux. Le lendemain, c'est repos et pas grand chose d'autre. Pour récupérer. Et réattaquer.
Les voitures n'ont guère le temps de refroidir non plus. Deux chauffeurs se relaient au volant du même véhicule.
A Pékin, les taxis alternent aussi un jour sur deux ou la nuit le jour, mais les journées sont moins longues: selon la Radio de la circulation, 70% des taxis travaillent entre 11 et 13 heures par jour.
Mais à Shanghai le coût de la vie est de 20 à 30% plus élevé.
"Cela fait 12 ans que je suis taxi, mais ça devient de plus en plus difficile", explique la Shanghaienne Tang Aimei, qui roule aussi souvent jusqu'à 20 heures par jour.
"Je fais une sieste d'une heure quand j'attends des clients à l'aéroport", dit-elle. Pour celui de Hongqiao, les chauffeurs patientent en moyenne une heure, pour l'aéroport de Pudong -- dont l'éloignement garantit une course plus lucrative -- parfois jusqu'à cinq heures.
le tour du cadran
Employée de Qiangsheng, la plus grosse des 131 compagnies de taxis de Shanghai, Tang "n'a jamais de vacances". "En plus les prix de l'essence ont beaucoup augmenté".
Chaque jour, elle verse 300 yuans à la compagnie pour l'utilisation du taxi, et dépense près de 350 yuans pour l'essence. "Il y a deux ans ce n'était que 200 yuans", se plaint-elle. Il ne lui reste qu'environ 300 yuans (environ 34 euros) pour elle.
"Le gouvernement ne fait pas assez attention à nous, il ne stabilise pas les prix de l'essence", dit-elle.
Début août, quelque 4.000 taxis de la ville voisine de Hangzhou se sont mis en grève. Ils ont obtenu quelques concessions.
"Mais moi je ne peux pas me mettre en grève parce que ma famille dépend de mon salaire", dit Tang, alors "je supporte la situation jusqu'à ce que je n'en puisse plus".
En plus de l'essence, les coûts d'entretien des taxis et l'assurance ont aussi beaucoup augmenté. Et il y a les taxis illégaux qui prennent des affaires, le réseau du métro qui s'est étendu et les embouteillages croissants qui réduisent le nombre de clients.
Zhao Jianping, taxi chez Blue Union, a déjà 200 km au compteur en milieu d'après-midi et n'est qu'à la moitié de sa journée de 20 heures lui aussi. "Certains taxis font même le tour du cadran", dit-il.
"Ils conduisent en moyenne 16 heures par jour", affirme pourtant à l'AFP Hong Tianlin, directeur de l'Association des taxis, "les cas de chauffeurs roulant 20 heures sont exceptionnels".
Des sanctions sont même prévues, dit-il, parce que "si vous conduisez 20 heures, vous risquez vraiment de provoquer des accidents". Les compagnies Qiangsheng et Blue Union n'ont pas souhaité répondre aux questions de l'AFP.
Le malaise s'étend dans la profession.
"Nous avons une pénurie de chauffeurs de taxi à Shanghai", concède M. Hong. Alors, pour la première fois, on recrute à l'extérieur: 250 chauffeurs vont arriver des provinces voisines comme le Zhejiang ou le Jiangsu. Tant pis s'ils ne connaissent bien ni le dialecte, ni les milliers de rues de la métropole.
Zhao, le chauffeur de Blue Union, dit aussi que les taxis commencent à manquer. "La plupart sont dans la quarantaine ou la cinquantaine, et les parents ne veulent pas que leur enfant unique fasse ce job" trop pénible.
Malgré ses yeux rougis, Zhao doit encore rouler jusqu'au milieu de la nuit.
Après il lavera sa Santana, fera le plein, et la déposera au parking de son collègue, qu'il ne croise jamais.
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