Re: Bon, bin, heu? La boite à clous. Ici on trouve de tout.
Publié : sam. sept. 11, 2010 12:14 am
Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili a été un évènement historique marquant à la fois de l'histoire du Chili et de la Guerre froide. Le 11 septembre 1973, le gouvernement du président démocratiquement élu Salvador Allende (socialiste) était renversé par un coup d'État militaire.
Celui-ci fut planifié par les commandants en chef des trois armées et le chef de la police, et dirigé par le général d'armée Augusto Pinochet. Ce coup d'État eut lieu dans un contexte de crise politique, sociale et économique du Chili, avec une opposition entre le pouvoir exécutif et les pouvoirs législatif et judiciaire. Il intervenait notamment deux mois après le Tanquetazo, une première tentative de coup d'État (juin 1973).
À la suite du coup d'Etat, qui coûta la vie à Salvador Allende lors du siège du palais de la Moneda, la junte militaire prononça la dissolution du Congrès national, des conseils municipaux, des syndicats et des partis politiques. La liberté de la presse fut abolie, le couvre-feu instauré. Tout ce qui était littérature de gauche fut interdit et les opposants au régime arrêtés, torturés ou exécutés. La dictature militaire dirigea le pays jusqu'en 1990.
Le rôle exact des États-Unis a longtemps fait l'objet d'incertitudes. Souvent allégués, les appuis qu'ils auraient apportés aux militaires le 11 septembre 1973 n'ont jamais été démontrés et la commission Church n'en a trouvé aucune preuve. L'Union soviétique estimait que la principale erreur du président chilien était d'être « trop faible » pour avoir refusé notamment de recourir à la force contre l'opposition ; et elle avait renoncé à lui fournir un soutien de grande ampleur lorsqu'il était apparu que la politique économique du gouvernement souffrait de mauvaise gestion chronique[
Lors de l’élection présidentielle de 1970, l'Unité Populaire — alliance des gauches — présente le socialiste Salvador Allende comme candidat unique et prône d'importantes réformes, « une révolution par voies légales », telles que l'expropriation des grands propriétaires terriens et des nationalisations d'entreprises. Se présentent également Radomiro Tomic pour la démocratie-chrétienne et l'ancien président de la république de 1958 à 1964, Jorge Alessandri, soutenu par le parti national (conservateur).
Les résultats sont serrés : 36,3 % pour Allende, 34,9 % pour Alessandri et 27,9 % pour Tomic. Puisqu'il n'y a pas de majorité absolue, et comme le veut la constitution, c'est au Congrès qu'il revient de choisir celui qui sera élu à la présidence. Sous l'impulsion des démocrates-chrétiens, le parlement adopte alors plusieurs amendements constitutionnels visant à limiter les pouvoirs du futur gouvernement et, avec le vote des démocrates-chrétiens, élit Allende président de la République par 153 voix contre 35 voix à Alessandri.
Le nouveau président est investi dans ses fonctions le 4 novembre 1970 et met rapidement en place le programme de l'Unité populaire.
Des difficultés d'approvisionnement, l'inflation galopante (508 % en 1973 contre 35 % en 1970) et les grèves placent le Chili dans une situation difficile. La forte augmentation des salaires (salaire minimum relevé de 35 %) provoque d'abord une hausse de la consommation bénéficiant à la production industrielle, mais ensuite relance l'inflation à partir de 1972 (alors qu'en 1971, la hausse du coût de la vie n'avait été que de 20 %, soit la moitié de l’augmentation des années précédentes). Selon Raymond Aron : « Les classes atteintes par les réformes, les catégories sociales traumatisées par la menace des nationalisations se révoltent [...] », notamment les grands propriétaires dont les possessions doivent être nationalisées sans contrepartie sérieuse. Le 11 juillet 1971, la loi de nationalisation des mines de cuivre (qui représente 80 % des exportations du pays) est adoptée à l'unanimité par le parlement.
En août 1972, 150 000 commerçants manifestent dans les rues de la capitale chilienne pour protester contre l’inflation, et le 10 octobre, la confédération chilienne des transports paralyse le pays pour protester contre la nationalisation annoncée par le gouvernement de leur secteur d’activité.
Entre novembre 1970 et septembre 1973, le président Allende forme six gouvernements, notamment à cause de la démission de ministres ou suite à leur destitution par le parlement. Le 22 août 1973, les élus du parti démocrate-chrétien (centre) et ceux du parti national (droite) de la chambre des députés estiment qu'ils ne disposent pas en l'état des moyens constitutionnels pour destituer le président Allende et votent par 81 voix contre 47 une résolution demandant aux institutions civiles (dont le président Allende) et militaires de mettre fin à ce qu'ils appellent des violations de la Constitution et de restaurer le droit et l'ordre constitutionnel. Auparavant, le 26 mai 1973, la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnelles et illégales de nombreuses dispositions prises par le gouvernement. Le 2 juillet 1973, le contrôleur général des comptes dresse le même constat. Selon l'historienne Verónica Valdivia Ortiz de Zárate, « l'opposition cherche à miner l'autorité présidentielle, à générer un contexte de chaos économique »
Lors des législatives de 1973, l'Unité Populaire fait campagne sur un programme de transformation révolutionnaire de l'économie et de la société chilienne alors que l'opposition, rassemblée dans la CODE, a pour seul programme la destitution du président Salvador Allende et l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle. L'unité populaire obtient 44,09 % des suffrages, ce qui la dote de 8 députés supplémentaires, contre 54,78 % à l'opposition. Celle-ci rate son objectif de faire destituer légalement le président Allende en n'atteignant pas les 60 % des voix qui lui auraient permis constitutionnellement de renverser le président chilien. Les partisans d'Allende voient une approbation de la politique gouvernementale dans la progression de la gauche lors de ces élections (la première fois dans l'histoire chilienne que les partis au pouvoir voyaient leurs résultats électoraux progresser lors d'une élection à mi-mandat).
Après avoir sauvé le gouvernement d'un premier putsch, le Tanquetazo, en juin 1973 (un régiment de chars s'en était pris au palais présidentiel, la Moneda), le général Carlos Prats doit démissionner suite à de nouvelles grèves dans les professions libérales et chez les camionneurs. Il est remplacé par Augusto Pinochet.
Le 9 août 1973, Allende s’ouvre en direction de l'armée, qu'il fait entrer davantage au gouvernement en nommant le général César Ruitz aux Travaux publics (le ministère concerné par les transporteurs privés), et l’amiral Raoul Montero aux Finances. Ils démissionneront dans les jours qui suivent.
Pour débloquer la situation, le président Allende envisageait pour le 12 septembre un discours aux Chiliens annonçant la tenue d’un référendum sur une nouvelle organisation économique du pays.
L'élection d'Allende en 1970 prend le gouvernement des États-Unis par surprise, les services diplomatique prévoyaient en effet une victoire d'Alessandri, conformément aux analyses de nombreux spécialistes. En conséquence de cette fausse estimation, les États-Unis n'avaient engagé des fonds que dans une mesure beaucoup plus faible qu'en 1964. Les États-Unis s'étaient refusés à soutenir Alessandri, se contentant de quelques campagnes contre Allende et non en faveur du candidat conservateur. Quand le gouvernement prend la mesure du problème, il est trop tard. Le président Richard Nixon est « hors de lui » et décidé à agir. D’après une note interne de la CIA : « Le président [Nixon] a demandé à l’agence [la CIA] d’empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou de le destituer et a débloqué à cette fin un budget allant jusqu’à 10 millions de dollars. ».
L'administration Nixon est fondamentalement hostile à Allende dès son élection. Cette hostilité ressort notamment du memorandum transmis à Nixon le 5 novembre 1970 par Henry Kissinger, alors Conseiller à la sécurité national. Peter Kornbluh, chercheur au National Security Archive, qui a participé à une campagne pour la déclassification des archives de la CIA, déclare à Libération : « si les États-Unis n'ont pas directement participé au complot du 11 septembre 1973, ils ont tout fait pour préparer le coup d'État contre Allende ». Deux documents déclassifiés de la CIA montrent qu'en 1970, le président Nixon souhaitait que Allende soit renversé, en étranglant l'économie et en déclenchant un coup d'État. Henry Kissinger explique la virulence de Nixon par sa fureur d'avoir été tenu à l'écart et n'avoir pas eu l'occasion de prendre la moindre décision pour prévenir la victoire du candidat socialiste. L'attitude officielle retenue est cependant « froide mais correcte », afin d'éviter une confrontation qui renforcerait Allende.
Le gouvernement des États-Unis est hostile à l'expropriation de grandes compagnies américaines du cuivre et à ce qu’il considère être l'instauration d'un deuxième régime marxiste dans sa zone d'influence (avec Cuba). Les États-Unis diminuent l'attribution de crédits mais poursuivent les programmes en cours dont celui de l'armée chilienne (interrompu pendant l'élection) et offre par ailleurs des stages aux officiers chiliens.
Selon une retranscription d'écoutes publiée par le National Security Archive, Henry Kissinger, devenu secrétaire d'État américain, dit au président Nixon, le 16 septembre 1973, en parlant du coup d’État : « Du temps d'Eisenhower, nous aurions été des héros. », puis : « Nous les avons aidés à créer les conditions au mieux. »
Dès mars 1970, la commission 40 du Conseil national de sécurité américain avait mis en place un vaste programme en faveur de Frei, président en exercice et adversaire d’Allende. Selon William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, la CIA aurait eu pour mission de déstabiliser le régime chilien afin « d'alimenter un climat propice au coup d'État », affirmant que sept millions de dollars avaient été dépensés par la centrale dans ce but. Le mouvement de la grève des camionneurs qui paralyse le pays en octobre 1972 était soutenu financièrement par la centrale de renseignement américaine. Réagissant aux nationalisations effectuées par le gouvernement d'Allende, plusieurs firmes américaines dont ITT apportent leur concours à cette stratégie.
Entre la date de l'élection présidentielle et l'intronisation d'Allende, les États-Unis cherchent dans la précipitation un moyen d’empêcher son accession au pouvoir. Attribuant la victoire d'Allende à la division du centre-droit, elle-même due à l'impossibilité constitutionnelle pour Frei de se représenter immédiatement, les États-Unis réfléchissent à différentes manœuvres à travers une approche officielle (Track one) et une approche officieuse (Track two) qui court-circuite le ministère des Affaires étrangères auquel Nixon ne fait plus confiance. Ils cherchent dans un premier temps à faire désigner Alessandri par le Parlement, qui démissionnerait immédiatement pour que se déroulent de nouvelles élections auxquelles Frei pourrait cette fois participer, une présidence intermédiaire s'étant écoulée. La sédition au sein de l'armée chilienne est également encouragée. Le 22 octobre 1970, le chef d'État-Major chilien René Schneider, susceptible de s'opposer à un coup d'État, est tué lors d'une tentative d'enlèvement ratée par des éléments séditieux menés par le général Roberto Viaux, en coordination avec le mouvement d’extrême droite Patrie et Liberté. Kissinger rapporte que cette action, vouée à l'échec, avait pourtant été décommandée et n'avait pas bénéficié d'appui américain. Un autre groupe, constitué d'amateurs, avait agi quelques jours auparavant avec l'accord de la CIA mais sans que la Maison blanche soit avertie : il échoue au point de n'être jamais en mesure de passer à l'action.
En ce qui concerne le coup d'État proprement dit du 11 septembre 1973, il n'existe aucun élément permettant d'affirmer que les États-Unis y ont directement participé. Si l'administration Nixon fut enchantée du coup de 1973, le rapport de la Commission Church, en 1976, a conclu que les États-Unis n'avaient pas eu de rôle direct dans l'événement.
En février 2003 Colin Powell, secrétaire d'État des États-Unis, a déclaré : « Je ne suis pas très fier de ce que nous avons fait au Chili dans les années 1970 et de notre rôle dans ce qui s'est passé avec M. Allende. Cette époque ne fait pas partie de l'histoire étatsunienne dont nous pouvons nous vanter »[
Le 9 septembre, le passage à l'acte est fixé par les chefs de l'armée de terre et de mer pour le 11 septembre 1973.
En septembre 1973, comme chaque année, l'US Navy et la marine chilienne organisent des manœuvres communes. Les troupes d'infanteries de marine passent ainsi la journée du 10 septembre 1973 avec quatre navires de la Navy au large de Valparaíso ce qui leur fournit un alibi afin de ne pas attirer l'attention sur les préparatifs du putsch.
De retour à Valparaíso, les troupes d’infanterie de marine coupent les communications. L'amiral loyaliste Monteiro est placé en état d'arrestation. À 3 heures du matin, le 11 septembre, Valparaíso est aux mains des putschistes sans coup férir.
À 6 heures du matin, l'opération militaire s'étend à tout le pays et se réalise sans résistance, à l'exception de Santiago.
Le 11 septembre 1973, à 9 heures du matin, la Moneda (siège de la présidence chilienne) est assiégée par l'armée de terre sous le commandement du général Pinochet. Salvador Allende est retranché, depuis 7 heures du matin, dans le palais présidentiel, avec 42 de ses gardes fortement armés. Le vice-amiral Patricio Carjaval lui propose alors par téléphone un sauf-conduit pour quitter le Chili sain et sauf avec sa famille. Mais il refuse, déclarant que « le président de la République élu par le peuple ne se rend pas », et convaincu qu’il s’agit d’un piège. Il fait néanmoins évacuer sa famille et le personnel.
Peu avant midi, deux avions de chasse de l’armée bombardent la Moneda à coups de roquettes. Les chars suivent peu après. À 14 heures, le palais est envahi mais Salvador Allende est déjà mort. Il s’est suicidé à l'aide d'une arme automatique.
La junte militaire est dirigée par un conseil de quatre officiers :
Augusto Pinochet pour l'armée de terre (30 000 hommes) ;
Gustavo Leigh Guzmán pour l'armée de l'air (9 000 hommes) ;
José Toribio Merino Castro pour la marine (15 000 hommes) ;
César Mendoza Durán pour la police nationale appelée carabineros (30 000 hommes).
À sa prise de pouvoir, Pinochet fait en sorte d'être seul à la tête du conseil. Il s'attache aussitôt à consolider son pouvoir.
Destruction de la littérature de gauche par les soldats de l'armée chilienneLe 13 septembre, la junte dissout le congrès, suspend la constitution et interdit les partis politiques, y compris ceux qui ont acclamé le coup d'État deux jours plus tôt. Les libertés publiques sont supprimées, l’État d'urgence proclamée et le couvre-feu instauré. La liberté de la presse est abolie. La répression est particulièrement violente : « Pendant des jours, on voyait des cadavres joncher les bords des routes ou flotter sur le fleuve Mapocho qui traverse Santiago. ». Pour la junte, il s'agit d'une « guerre intérieure ».
Le stade national et le stade Chili sont temporairement transformés en d'immenses prisons, où les prisonniers sont torturés et parfois exécutés sommairement. 130 000 personnes sont arrêtées en trois ans, dont des dizaines de milliers dans les premiers mois. Les exécutions qui suivent le coup d'État sont alors très nombreuses. Une note interne à la junte militaire établit à 320 le nombre des exécutions ayant eu lieu dans la période du 11 au 30 septembre. Le département américain lui-même intervient pour demander que les exactions cessent mais celles-ci se poursuivent durant la fin de l'année 1973, puis pendant toute la durée de la dictature.
En faisant du général Pinochet le chef suprême de la nation en 1974, la junte n'envisage pas de rendre à brève échéance le pouvoir aux civils, et ne souhaite pas rétablir la constitution de 1925.
Le Congrès dissout, les syndicats interdits, la presse censurée, l'armée concentre dorénavant tous les pouvoirs. Gouvernant à l'aide de décrets, le régime se constitutionnalise en 1980 et reste autoritaire avec un président qui nomme les ministres, contrôle l'appareil judiciaire et commande les armées.
D'après l'historien Jorge Magasich, pour justifier le coup d'État, quelques jours après son exécution, le nouveau pouvoir prétend avoir découvert l'existence d'un plan du gouvernement Allende (le « plan Z ») d'« auto-coup-d'État ». Ce plan, prévu, d'après la junte militaire, pour le 19 septembre, aurait consisté en des assassinats de dirigeants de l'armée et de l'opposition ainsi que de journalistes, suivit de la proclamation de la « République populaire démocratique du Chili »
Selon le rapport Rettig de 1991, la dictature aurait fait 2 279 morts et disparus dont 641 morts « dans des conditions non élucidées » et 957 « détenus disparus ». Cette estimation aurait été portée à 3 197.
Près de 150 000 personnes ont été emprisonnées pour des motifs politiques, et dix-neuf l'étaient encore à la fin de 1993. Selon un rapport remis au président Ricardo Lagos dans les années 2000, près de 27 255 personnes ont été torturées.
Il y a eu des centaines de milliers d’exilés politiques.
Cités par une dépêche de l'AFP le 11 décembre 2006, voici le profil des victimes dressé par les rapports de deux commissions officielles, celle de la Vérité et Réconciliation (1991) et celle sur la prison politique et la torture (2004), également connus sous le nom des présidents des commissions, respectivement Raul Rettig et Mgr Sergio Valech :
total des morts et disparus de la dictature militaire : 2 279 ;
94,5 % étaient des hommes (2 153) (rapport Rettig) ;
97,76 % étaient Chiliens (2 228) (rapport Rettig) ;
17,8 % (405) appartenaient au Parti socialiste, 16,9 % (384) au Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, extrême gauche) et 15,5 % (353) au Parti communiste. Quelque 46 % d'entre eux n'avaient pas de passé militant connu (rapport Valech) ;
sur 33 221 personnes arrêtées entre 1973 et 1990, 27 255 ont été reconnues comme victimes de prison politique et de torture par la Commission sur la prison politique et la torture (rapport Valech) ;
68,7 % d'entre elles (22 824) ont été arrêtées en 1973 ;
87,5 % (23 856) étaient des hommes ;
44,2 % (12 060) avaient entre 21 et 30 ans et 25,4 % (6 913) entre 31 et 40 ans.
Celui-ci fut planifié par les commandants en chef des trois armées et le chef de la police, et dirigé par le général d'armée Augusto Pinochet. Ce coup d'État eut lieu dans un contexte de crise politique, sociale et économique du Chili, avec une opposition entre le pouvoir exécutif et les pouvoirs législatif et judiciaire. Il intervenait notamment deux mois après le Tanquetazo, une première tentative de coup d'État (juin 1973).
À la suite du coup d'Etat, qui coûta la vie à Salvador Allende lors du siège du palais de la Moneda, la junte militaire prononça la dissolution du Congrès national, des conseils municipaux, des syndicats et des partis politiques. La liberté de la presse fut abolie, le couvre-feu instauré. Tout ce qui était littérature de gauche fut interdit et les opposants au régime arrêtés, torturés ou exécutés. La dictature militaire dirigea le pays jusqu'en 1990.
Le rôle exact des États-Unis a longtemps fait l'objet d'incertitudes. Souvent allégués, les appuis qu'ils auraient apportés aux militaires le 11 septembre 1973 n'ont jamais été démontrés et la commission Church n'en a trouvé aucune preuve. L'Union soviétique estimait que la principale erreur du président chilien était d'être « trop faible » pour avoir refusé notamment de recourir à la force contre l'opposition ; et elle avait renoncé à lui fournir un soutien de grande ampleur lorsqu'il était apparu que la politique économique du gouvernement souffrait de mauvaise gestion chronique[
Lors de l’élection présidentielle de 1970, l'Unité Populaire — alliance des gauches — présente le socialiste Salvador Allende comme candidat unique et prône d'importantes réformes, « une révolution par voies légales », telles que l'expropriation des grands propriétaires terriens et des nationalisations d'entreprises. Se présentent également Radomiro Tomic pour la démocratie-chrétienne et l'ancien président de la république de 1958 à 1964, Jorge Alessandri, soutenu par le parti national (conservateur).
Les résultats sont serrés : 36,3 % pour Allende, 34,9 % pour Alessandri et 27,9 % pour Tomic. Puisqu'il n'y a pas de majorité absolue, et comme le veut la constitution, c'est au Congrès qu'il revient de choisir celui qui sera élu à la présidence. Sous l'impulsion des démocrates-chrétiens, le parlement adopte alors plusieurs amendements constitutionnels visant à limiter les pouvoirs du futur gouvernement et, avec le vote des démocrates-chrétiens, élit Allende président de la République par 153 voix contre 35 voix à Alessandri.
Le nouveau président est investi dans ses fonctions le 4 novembre 1970 et met rapidement en place le programme de l'Unité populaire.
Des difficultés d'approvisionnement, l'inflation galopante (508 % en 1973 contre 35 % en 1970) et les grèves placent le Chili dans une situation difficile. La forte augmentation des salaires (salaire minimum relevé de 35 %) provoque d'abord une hausse de la consommation bénéficiant à la production industrielle, mais ensuite relance l'inflation à partir de 1972 (alors qu'en 1971, la hausse du coût de la vie n'avait été que de 20 %, soit la moitié de l’augmentation des années précédentes). Selon Raymond Aron : « Les classes atteintes par les réformes, les catégories sociales traumatisées par la menace des nationalisations se révoltent [...] », notamment les grands propriétaires dont les possessions doivent être nationalisées sans contrepartie sérieuse. Le 11 juillet 1971, la loi de nationalisation des mines de cuivre (qui représente 80 % des exportations du pays) est adoptée à l'unanimité par le parlement.
En août 1972, 150 000 commerçants manifestent dans les rues de la capitale chilienne pour protester contre l’inflation, et le 10 octobre, la confédération chilienne des transports paralyse le pays pour protester contre la nationalisation annoncée par le gouvernement de leur secteur d’activité.
Entre novembre 1970 et septembre 1973, le président Allende forme six gouvernements, notamment à cause de la démission de ministres ou suite à leur destitution par le parlement. Le 22 août 1973, les élus du parti démocrate-chrétien (centre) et ceux du parti national (droite) de la chambre des députés estiment qu'ils ne disposent pas en l'état des moyens constitutionnels pour destituer le président Allende et votent par 81 voix contre 47 une résolution demandant aux institutions civiles (dont le président Allende) et militaires de mettre fin à ce qu'ils appellent des violations de la Constitution et de restaurer le droit et l'ordre constitutionnel. Auparavant, le 26 mai 1973, la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnelles et illégales de nombreuses dispositions prises par le gouvernement. Le 2 juillet 1973, le contrôleur général des comptes dresse le même constat. Selon l'historienne Verónica Valdivia Ortiz de Zárate, « l'opposition cherche à miner l'autorité présidentielle, à générer un contexte de chaos économique »
Lors des législatives de 1973, l'Unité Populaire fait campagne sur un programme de transformation révolutionnaire de l'économie et de la société chilienne alors que l'opposition, rassemblée dans la CODE, a pour seul programme la destitution du président Salvador Allende et l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle. L'unité populaire obtient 44,09 % des suffrages, ce qui la dote de 8 députés supplémentaires, contre 54,78 % à l'opposition. Celle-ci rate son objectif de faire destituer légalement le président Allende en n'atteignant pas les 60 % des voix qui lui auraient permis constitutionnellement de renverser le président chilien. Les partisans d'Allende voient une approbation de la politique gouvernementale dans la progression de la gauche lors de ces élections (la première fois dans l'histoire chilienne que les partis au pouvoir voyaient leurs résultats électoraux progresser lors d'une élection à mi-mandat).
Après avoir sauvé le gouvernement d'un premier putsch, le Tanquetazo, en juin 1973 (un régiment de chars s'en était pris au palais présidentiel, la Moneda), le général Carlos Prats doit démissionner suite à de nouvelles grèves dans les professions libérales et chez les camionneurs. Il est remplacé par Augusto Pinochet.
Le 9 août 1973, Allende s’ouvre en direction de l'armée, qu'il fait entrer davantage au gouvernement en nommant le général César Ruitz aux Travaux publics (le ministère concerné par les transporteurs privés), et l’amiral Raoul Montero aux Finances. Ils démissionneront dans les jours qui suivent.
Pour débloquer la situation, le président Allende envisageait pour le 12 septembre un discours aux Chiliens annonçant la tenue d’un référendum sur une nouvelle organisation économique du pays.
L'élection d'Allende en 1970 prend le gouvernement des États-Unis par surprise, les services diplomatique prévoyaient en effet une victoire d'Alessandri, conformément aux analyses de nombreux spécialistes. En conséquence de cette fausse estimation, les États-Unis n'avaient engagé des fonds que dans une mesure beaucoup plus faible qu'en 1964. Les États-Unis s'étaient refusés à soutenir Alessandri, se contentant de quelques campagnes contre Allende et non en faveur du candidat conservateur. Quand le gouvernement prend la mesure du problème, il est trop tard. Le président Richard Nixon est « hors de lui » et décidé à agir. D’après une note interne de la CIA : « Le président [Nixon] a demandé à l’agence [la CIA] d’empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou de le destituer et a débloqué à cette fin un budget allant jusqu’à 10 millions de dollars. ».
L'administration Nixon est fondamentalement hostile à Allende dès son élection. Cette hostilité ressort notamment du memorandum transmis à Nixon le 5 novembre 1970 par Henry Kissinger, alors Conseiller à la sécurité national. Peter Kornbluh, chercheur au National Security Archive, qui a participé à une campagne pour la déclassification des archives de la CIA, déclare à Libération : « si les États-Unis n'ont pas directement participé au complot du 11 septembre 1973, ils ont tout fait pour préparer le coup d'État contre Allende ». Deux documents déclassifiés de la CIA montrent qu'en 1970, le président Nixon souhaitait que Allende soit renversé, en étranglant l'économie et en déclenchant un coup d'État. Henry Kissinger explique la virulence de Nixon par sa fureur d'avoir été tenu à l'écart et n'avoir pas eu l'occasion de prendre la moindre décision pour prévenir la victoire du candidat socialiste. L'attitude officielle retenue est cependant « froide mais correcte », afin d'éviter une confrontation qui renforcerait Allende.
Le gouvernement des États-Unis est hostile à l'expropriation de grandes compagnies américaines du cuivre et à ce qu’il considère être l'instauration d'un deuxième régime marxiste dans sa zone d'influence (avec Cuba). Les États-Unis diminuent l'attribution de crédits mais poursuivent les programmes en cours dont celui de l'armée chilienne (interrompu pendant l'élection) et offre par ailleurs des stages aux officiers chiliens.
Selon une retranscription d'écoutes publiée par le National Security Archive, Henry Kissinger, devenu secrétaire d'État américain, dit au président Nixon, le 16 septembre 1973, en parlant du coup d’État : « Du temps d'Eisenhower, nous aurions été des héros. », puis : « Nous les avons aidés à créer les conditions au mieux. »
Dès mars 1970, la commission 40 du Conseil national de sécurité américain avait mis en place un vaste programme en faveur de Frei, président en exercice et adversaire d’Allende. Selon William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, la CIA aurait eu pour mission de déstabiliser le régime chilien afin « d'alimenter un climat propice au coup d'État », affirmant que sept millions de dollars avaient été dépensés par la centrale dans ce but. Le mouvement de la grève des camionneurs qui paralyse le pays en octobre 1972 était soutenu financièrement par la centrale de renseignement américaine. Réagissant aux nationalisations effectuées par le gouvernement d'Allende, plusieurs firmes américaines dont ITT apportent leur concours à cette stratégie.
Entre la date de l'élection présidentielle et l'intronisation d'Allende, les États-Unis cherchent dans la précipitation un moyen d’empêcher son accession au pouvoir. Attribuant la victoire d'Allende à la division du centre-droit, elle-même due à l'impossibilité constitutionnelle pour Frei de se représenter immédiatement, les États-Unis réfléchissent à différentes manœuvres à travers une approche officielle (Track one) et une approche officieuse (Track two) qui court-circuite le ministère des Affaires étrangères auquel Nixon ne fait plus confiance. Ils cherchent dans un premier temps à faire désigner Alessandri par le Parlement, qui démissionnerait immédiatement pour que se déroulent de nouvelles élections auxquelles Frei pourrait cette fois participer, une présidence intermédiaire s'étant écoulée. La sédition au sein de l'armée chilienne est également encouragée. Le 22 octobre 1970, le chef d'État-Major chilien René Schneider, susceptible de s'opposer à un coup d'État, est tué lors d'une tentative d'enlèvement ratée par des éléments séditieux menés par le général Roberto Viaux, en coordination avec le mouvement d’extrême droite Patrie et Liberté. Kissinger rapporte que cette action, vouée à l'échec, avait pourtant été décommandée et n'avait pas bénéficié d'appui américain. Un autre groupe, constitué d'amateurs, avait agi quelques jours auparavant avec l'accord de la CIA mais sans que la Maison blanche soit avertie : il échoue au point de n'être jamais en mesure de passer à l'action.
En ce qui concerne le coup d'État proprement dit du 11 septembre 1973, il n'existe aucun élément permettant d'affirmer que les États-Unis y ont directement participé. Si l'administration Nixon fut enchantée du coup de 1973, le rapport de la Commission Church, en 1976, a conclu que les États-Unis n'avaient pas eu de rôle direct dans l'événement.
En février 2003 Colin Powell, secrétaire d'État des États-Unis, a déclaré : « Je ne suis pas très fier de ce que nous avons fait au Chili dans les années 1970 et de notre rôle dans ce qui s'est passé avec M. Allende. Cette époque ne fait pas partie de l'histoire étatsunienne dont nous pouvons nous vanter »[
Le 9 septembre, le passage à l'acte est fixé par les chefs de l'armée de terre et de mer pour le 11 septembre 1973.
En septembre 1973, comme chaque année, l'US Navy et la marine chilienne organisent des manœuvres communes. Les troupes d'infanteries de marine passent ainsi la journée du 10 septembre 1973 avec quatre navires de la Navy au large de Valparaíso ce qui leur fournit un alibi afin de ne pas attirer l'attention sur les préparatifs du putsch.
De retour à Valparaíso, les troupes d’infanterie de marine coupent les communications. L'amiral loyaliste Monteiro est placé en état d'arrestation. À 3 heures du matin, le 11 septembre, Valparaíso est aux mains des putschistes sans coup férir.
À 6 heures du matin, l'opération militaire s'étend à tout le pays et se réalise sans résistance, à l'exception de Santiago.
Le 11 septembre 1973, à 9 heures du matin, la Moneda (siège de la présidence chilienne) est assiégée par l'armée de terre sous le commandement du général Pinochet. Salvador Allende est retranché, depuis 7 heures du matin, dans le palais présidentiel, avec 42 de ses gardes fortement armés. Le vice-amiral Patricio Carjaval lui propose alors par téléphone un sauf-conduit pour quitter le Chili sain et sauf avec sa famille. Mais il refuse, déclarant que « le président de la République élu par le peuple ne se rend pas », et convaincu qu’il s’agit d’un piège. Il fait néanmoins évacuer sa famille et le personnel.
Peu avant midi, deux avions de chasse de l’armée bombardent la Moneda à coups de roquettes. Les chars suivent peu après. À 14 heures, le palais est envahi mais Salvador Allende est déjà mort. Il s’est suicidé à l'aide d'une arme automatique.
La junte militaire est dirigée par un conseil de quatre officiers :
Augusto Pinochet pour l'armée de terre (30 000 hommes) ;
Gustavo Leigh Guzmán pour l'armée de l'air (9 000 hommes) ;
José Toribio Merino Castro pour la marine (15 000 hommes) ;
César Mendoza Durán pour la police nationale appelée carabineros (30 000 hommes).
À sa prise de pouvoir, Pinochet fait en sorte d'être seul à la tête du conseil. Il s'attache aussitôt à consolider son pouvoir.
Destruction de la littérature de gauche par les soldats de l'armée chilienneLe 13 septembre, la junte dissout le congrès, suspend la constitution et interdit les partis politiques, y compris ceux qui ont acclamé le coup d'État deux jours plus tôt. Les libertés publiques sont supprimées, l’État d'urgence proclamée et le couvre-feu instauré. La liberté de la presse est abolie. La répression est particulièrement violente : « Pendant des jours, on voyait des cadavres joncher les bords des routes ou flotter sur le fleuve Mapocho qui traverse Santiago. ». Pour la junte, il s'agit d'une « guerre intérieure ».
Le stade national et le stade Chili sont temporairement transformés en d'immenses prisons, où les prisonniers sont torturés et parfois exécutés sommairement. 130 000 personnes sont arrêtées en trois ans, dont des dizaines de milliers dans les premiers mois. Les exécutions qui suivent le coup d'État sont alors très nombreuses. Une note interne à la junte militaire établit à 320 le nombre des exécutions ayant eu lieu dans la période du 11 au 30 septembre. Le département américain lui-même intervient pour demander que les exactions cessent mais celles-ci se poursuivent durant la fin de l'année 1973, puis pendant toute la durée de la dictature.
En faisant du général Pinochet le chef suprême de la nation en 1974, la junte n'envisage pas de rendre à brève échéance le pouvoir aux civils, et ne souhaite pas rétablir la constitution de 1925.
Le Congrès dissout, les syndicats interdits, la presse censurée, l'armée concentre dorénavant tous les pouvoirs. Gouvernant à l'aide de décrets, le régime se constitutionnalise en 1980 et reste autoritaire avec un président qui nomme les ministres, contrôle l'appareil judiciaire et commande les armées.
D'après l'historien Jorge Magasich, pour justifier le coup d'État, quelques jours après son exécution, le nouveau pouvoir prétend avoir découvert l'existence d'un plan du gouvernement Allende (le « plan Z ») d'« auto-coup-d'État ». Ce plan, prévu, d'après la junte militaire, pour le 19 septembre, aurait consisté en des assassinats de dirigeants de l'armée et de l'opposition ainsi que de journalistes, suivit de la proclamation de la « République populaire démocratique du Chili »
Selon le rapport Rettig de 1991, la dictature aurait fait 2 279 morts et disparus dont 641 morts « dans des conditions non élucidées » et 957 « détenus disparus ». Cette estimation aurait été portée à 3 197.
Près de 150 000 personnes ont été emprisonnées pour des motifs politiques, et dix-neuf l'étaient encore à la fin de 1993. Selon un rapport remis au président Ricardo Lagos dans les années 2000, près de 27 255 personnes ont été torturées.
Il y a eu des centaines de milliers d’exilés politiques.
Cités par une dépêche de l'AFP le 11 décembre 2006, voici le profil des victimes dressé par les rapports de deux commissions officielles, celle de la Vérité et Réconciliation (1991) et celle sur la prison politique et la torture (2004), également connus sous le nom des présidents des commissions, respectivement Raul Rettig et Mgr Sergio Valech :
total des morts et disparus de la dictature militaire : 2 279 ;
94,5 % étaient des hommes (2 153) (rapport Rettig) ;
97,76 % étaient Chiliens (2 228) (rapport Rettig) ;
17,8 % (405) appartenaient au Parti socialiste, 16,9 % (384) au Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, extrême gauche) et 15,5 % (353) au Parti communiste. Quelque 46 % d'entre eux n'avaient pas de passé militant connu (rapport Valech) ;
sur 33 221 personnes arrêtées entre 1973 et 1990, 27 255 ont été reconnues comme victimes de prison politique et de torture par la Commission sur la prison politique et la torture (rapport Valech) ;
68,7 % d'entre elles (22 824) ont été arrêtées en 1973 ;
87,5 % (23 856) étaient des hommes ;
44,2 % (12 060) avaient entre 21 et 30 ans et 25,4 % (6 913) entre 31 et 40 ans.