François Joseph Paul, marquis de Grasse Tilly, comte de Grasse, né au château des Valettes de Le Bar (actuellement Le Bar-sur-Loup, Alpes-Maritimes) le 13 septembre 1722 et décédé le 11 janvier 1788 au château de Tilly dans les actuelles Yvelines, est un héros de l'indépendance américaine et un amiral français.
Dernier garçon d'une famille de la noblesse provençale issue des anciens princes d'Antibes, François-Joseph de Grasse nait au château familial du Bar-sur-Loup où il passe la plus grande partie de son enfance.
À l'âge de onze ans, François-Joseph de Grasse entre dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem comme page du Grand Maître de l'ordre. Il est en effet de tradition dans beaucoup de vieilles familles provençales d'envoyer ses fils cadets servir sur les navires de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. En 1740, après six années d'apprentissage ponctuée de caravanes sur les galères de l'Ordre, François-Joseph choisit d'entrer au service du roi de France. L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem servait souvent au XVIIe et XVIIIe siècle de vivier à la marine royale. Il effectue ensuite toute sa carrière dans la marine royale française. Pierre André de Suffren, l'autre grand amiral français de la période suit un cursus naval voisin.
Enseigne de vaisseau en 1743, il se retrouve engagé dans les combats de la guerre de Succession d’Autriche. Le 22 février 1744, il participe sur le Diamant au combat du cap Sicié, puis fait campagne aux Antilles et passe en 1746 sur le Castor avec lequel il participe à la capture d’une corvette anglaise sur les côtes d’Acadie. En 1747, il embarque sur la Gloire dans l’escadre de La Jonquière, où il est blessé et fait prisonnier au combat du cap Ortegal contre l’escadre anglaise d’Anson (15 mai 1747).
La guerre terminée, il fait une croisière en 1752 au Levant, sur la Junon. Il est ainsi promu lieutenant de vaisseau en 1754, et fait campagne sur l’Amphion en 1755 à Saint Domingue. La guerre avec l’Angleterre reprend en 1756, et il participe en 1757 sur le Tonnant à la défense de Louisbourg dans la concentration navale de Dubois de La Motte. La même année, il commande le Zéphyr en croisière sur les côtes d’Afrique. En 1762, il devient capitaine de vaisseau et commande l’année suivante le Protée aux Antilles alors que se termine la terrible guerre de Sept Ans qui a vu la Marine royale enregistrer de lourdes défaites et la destruction de l’essentiel du premier empire colonial français.
En 1765, il commande l’Héroïne dans l’escadre de du Chaffault lors de l’expédition de Larache, puis l’Iris en 1772 en escadre d’évolutions. En 1775, il dirige l’Amphitrite aux Antilles, puis l’Intrépide en 1776. Grasse se taille une réputation de bon manœuvrier. C'était « un homme de haute taille, peu sympathique , avec son visage de bouledogue, lourd, fermé, sévère, le nez fort, la bouche épaisse et méprisante, comme le représente une toile de Jean-Baptiste Mauzaisse au musée de Versailles. Cet ancien chevalier de Malte, qui avait bourlingué sur toutes les mers, était craint des officiers et des matelots. »
En 1776, une partie des colons anglais d'Amérique proclament leur indépendance. Les Insurgents sollicitent l’aide du roi de France. Louis XVI et ses ministres hésitent longuement, puis s'engagent auprès de la jeune république américaine pour venger les défaites de la guerre de Sept Ans et combattre les prétentions anglaises à un contrôle total des mers. En 1778, la guerre éclate donc de nouveau entre la France et l’Angleterre. Grasse a 54 ans, ce nouveau conflit lui offre l'opportunité de se distinguer et d'entrer dans l'Histoire.
La bataille du cap Sicié (22 février 1744), vue par l'illustrateur espagnol Diego De Mesa. Ce combat, appelé "bataille de Toulon" par les Anglais et les Espagnols voit le premier engagement naval de De Grasse.À l'ouverture du conflit, de Grasse est nommé chef d’escadre, et il sert sous les ordres d’autres amiraux. Dans l’escadre d’Orvilliers, il commande le Robuste lors de la bataille d'Ouessant, le 27 juillet 1778, puis rejoint avec une flottille de renfort l’escadre d’Estaing aux Antilles, et prend part aux combats de la Grenade en juillet 1779, et de Savannah en août-septembre 1779. En 1780, il commande une division dans l’escadre de Guichen, et se distingue aux trois combats livrés au commodore Rodney, au large de la Dominique.
En mars 1781, de Grasse est nommé lieutenant général, et il reçoit enfin le commandement d’une grande escadre, avec pour mission principale de partir aux Antilles pour couvrir la défense des îles du Vent. Il met son pavillon sur la Ville-de-Paris, et part de Brest le 22 mars à la tête de 20 vaisseaux, 3 frégates et 120 bâtiments transportant 3 200 hommes de troupe. L’escadre arrive le 28 avril à la Martinique, obligeant l’amiral Hood à lever le blocus de Fort Royal où de Grasse entre le 6 mai. Un de ses premiers succès est la reprise de l’île hollandaise de Tobago le 1er juin. Le 5 juillet, il appareille pour Saint Domingue en escortant un gros convoi.
La bataille de la Chesapeake le 5 septembre 1781 vue par le peintre Jean Antoine Théodore de Gudin au XIXe siècle. À gauche, l'Auguste (80 canons) au combat.Au mouillage de Cap Français (aujourd’hui Cap-Haïtien, au nord-ouest de l’île de Saint Domingue), de Grasse reçoit l’appel à l’aide de George Washington et du général Rochambeau, le commandant du corps expéditionnaire français débarqué le 11 juillet de l’année précédente dans le Rhode Island. Cette troupe d'un peu moins de 6 000 hommes a passé l’hiver dans un camp retranché à Newport, en attendant les renforts promis par Louis XVI. La situation des Américains est alors très difficile : pas d’argent, plus de médicaments, des désertions en masse, deux importantes armées anglaises stationnant à New York et en Virginie... Les troupes anglaises installées à New York sont nombreuses et solidement retranchées. Rochambeau conseille à Washington de marcher plutôt vers l’armée anglaise du sud commandée par Charles Cornwallis, installé dans la presqu’île de Yorktown à l'entrée de la baie de la Chesapeake. Depuis son camp retranché, Cornwallis peut menacer les environs en recevant des renforts de la mer, car les escadres anglaises patrouillent le long de la côte américaine. Mais cette position peut aussi se transformer en piège mortel si une armée parvient à bloquer la presqu’île de Yorktown, et si la flotte anglaise est tenue à distance de l’entrée de la baie. Une première tentative de débarquement de troupes, menée en mars 1781 par Destouches à la demande de Washington avait d'ailleurs échoué après un bref combat naval face à l'escadre d'Arbuthnot.
De Grasse, qui n’a pas d’ordre précis de Versailles, envisage de monter une attaque sur la Jamaïque ou éventuellement New-York. Il accepte cependant le plan qui lui est proposé. L’escadre de Barras de Saint-Laurent qui stationne à Newport où elle est inactive depuis le premier combat de la Chesapeake, accepte de se joindre à l’opération. C’est un renfort important qui donne une très nette supériorité navale aux Français pour tenter cette opération de grande envergure. De Grasse emprunte sous sa signature 500 000 piastres à des banquiers espagnols, et fait embarquer sur sa flotte les sept régiments destinés à attaquer la Jamaïque, avec un petit corps de dragons et d’artilleurs : 3 200 hommes en tout, avec du matériel de siège, des canons et des mortiers. Le moral, stimulé par les victoires précédentes est très élevé. L'escadre se sent forte au point de couper au travers des écueils du canal de Bahama jusqu'alors inconnu aux flottes françaises
Les opérations militaires sur la côte américaine en 1781 (Carte américaine en anglaisCommence alors une « opération combinée extraordinaire. Il joue sur les distances maritimes qui séparent les différents théâtres d’opération pour créer la surprise et obtenir une supériorité décisive face à un ennemi qui ne s’y attend pas. » Les troupes de Rochambeau, très éloignées de Yorktown commencent une marche forcée vers le sud de plus de 600 km, en laissant de côté l’armée anglaise de New-York, alors que les quelques centaines de cavaliers de La Fayette et du général Waine remontent vers la baie jusqu’à Williamsburg. Mais l’essentiel vient de la mer : le 30 août, les 28 navires de ligne et les 4 frégates de De Grasse se présentent à l’entrée de la Chesapeake et jette l'ancre dans la baie de Lynnhaven. Le débarquement des troupes, sous les ordres du marquis de Saint-Simon commence aussitôt. La situation des Français reste pendant plusieurs jours extrêmement aventureuse, car avec 8 000 soldats réguliers et 9 000 américains loyalistes, Cornwallis dispose de forces très supérieures. L’armée de Rochambeau est encore loin, mais de Grasse envoie 4 navires bloquer les rivières James et York.
Le 5 septembre, l’opération de débarquement n’est pas encore achevée et une flotte se présente à l’horizon, mais ce n'est pas celle de Barras de Saint-Laurent. C'est le pavillons des anglais Hood et Graves qui apparaît dans les longues vues, avec 19 (ou 20 selon les historiens) navires de ligne et 7 frégates. L’instant est décisif pour les Français, qui d’assiégeants risquent de se retrouver en situation d’assiégés, enfermés dans la baie. Mais de Grasse réagit aussitôt : il stoppe le débarquement, laisse filer les ancres, et se prépare à engager le combat avant que l’escadre anglaise ne bloque la baie entre les caps Charles et Henry. De Grasse a un atout important : il a plus de vaisseaux (il en engage 24 sur 28, mais plus de mille marins n'ont pas eu le temps de rembarquer) que les deux amiraux anglais. Côté anglais, Hood trop sûr de lui -car il est du côté du vent- laisse passer sa chance en attendant que les Français se déploient pour ouvrir le feu. À cette première erreur, s’ajoute une confusion dans la compréhension des signaux : l’avant-garde anglaise s’éloigne de son centre et de son arrière-garde alors que les Français ouvrent le feu. La tombée de la nuit sépare les combattants. La bataille a duré quatre heures et a été indécise, concentrée essentiellement sur les deux avant-gardes mais la flotte anglaise a beaucoup souffert : 5 vaisseaux sont très abimés, l'un d'eux coule et un autre doit être sabordé dans la nuit. Hood et Graves restent encore au large jusqu’au 9 septembre alors que de Grasse cherche à reprendre le combat. En vain. Les deux chefs anglais finissent par rentrer sur New York pour réparer. De Grasse regagne à son tour son mouillage en saisissant au passage les frégates Isis et Richemond. Cette retraite signe la victoire de De Grasse à la « bataille des caps », que l’histoire retient sous le nom de bataille de la baie de Chesapeake. La nasse de Yorktown est désormais fermée : Cornwallis ne peut plus attendre aucun secours de la mer.
Bataille de Chesapeake, le 5 septembre 1781. Le Ville de Paris et l'Auguste. Peinture du XXe siècle (1962) du Hampton Roads Naval Museum de Norfolk.De Grasse reprend aussitôt le blocus. Il débarque 2 500 marins pour renforcer les 3 200 hommes de Saint-Simon, alors que le 9 septembre (jour où s’enfuit la Royal Navy) arrive l’escadre de Barras de Saint-Laurent qui s’est faufilé le long de la côte : 12 vaisseaux neufs avec 18 transports chargés du matériel de siège (essentiellement de l’artillerie). De Grasse organise aussi une flottille pour transporter sur 200 km dans la baie les troupes de Rochambeau arrivées à Annapolis, alors que Washington qui marche le long de la côte arrive à Williamsburg le 14 septembre. Le 17, de Grasse et Washington se rencontrent sur le navire amiral, le Ville de Paris pour organiser les opérations. À New-York, Clinton reste sans réaction, car il ne comprend pas la destination prise par Rochambeau et Washington. Lorsqu'il se décide enfin le 17 octobre à envoyer 7 000 hommes en renfort vers le sud, il est beaucoup trop tard.
Cornwallis, qui n’a plus rien à espérer de la mer, se retranche au bout de la presqu’île, dans la petite bourgade de Yorktown. Le 29 septembre commence l’investissement de la place par les coalisés : 3 600 américains et 11 000 français. Washington qui a le commandement théorique mais qui n’a ni les effectifs, ni l’expérience de la guerre de siège, doit laisser faire les Français. Après douze jours et douze nuits passées à s’approcher des positions anglaises en creusant des tranchées, l’artillerie entre en action. Les nouveaux canons Gribeauval incendient deux des trois frégates dans le port, qui contenaient des stocks de munitions. Ils concentrent ensuite leurs tirs sur les deux redoutes (forts), positions capitales pour les britanniques. Au feu terrestre s’ajoute le feu des canons de marine de De Grasse. Écrasé par cette pluie de boulets, la position de Cornwallis devient intenable, d’autant qu’il n’a presque plus de munitions et de vivres. Le 19 octobre, il doit capituler sans condition, avec ses quatorze régiments anglais et hessois.
Cette éclatante victoire laisse aux vainqueurs 214 canons, 22 étendards et 8 000 prisonniers qui défilent en habit rouge entre une rangée de soldats français et une autre d’Américains. La nouvelle de la victoire est accueillie par des transports de joie dans toute l’Amérique et à Versailles. « Jamais la France n’eut un avantage aussi marqué sur l’Angleterre que celui-là » dit Rochambeau en triomphant. Défaite d'autant plus humiliante que Cornwallis, ancien chambellan et aide de camp de George III était considéré jusque-là comme l'un des espoirs de l'armée anglaise. Sur le papier il reste encore aux Britanniques des troupes considérables à New York (30 000 hommes) et Charleston pour continuer la guerre. Mais pour le gouvernement anglais la nouvelle est un désastre : « It’s all over » soupire lord North dont le ministère tombe en mars 1782.
Les Anglais avaient payé le prix de leur dispersion, de la lenteur des communications, de l’absence de coordination et des tensions entre sir Henry Clinton, général en chef, et l’impétueux lord Charles Cornwallis. Yorktown n’est pas une victoire terrestre, mais bien une victoire navale. Les Insurgents sont définitivement sauvés. Comme l’a souligné l’historien américain Morrison, sans la victoire du comte De Grasse, ce n’est pas la reddition de Cornwallis mais celle de George Washington que l’histoire aurait enregistrée. Yorktown serait même un « Waterloo naval », selon l'historien américain Emil Reich. Yorktown apparait effectivement comme une victoire de la mer contre la terre. Sans l'action de la flotte française apportant hommes et matériel puis coupant Cornwallis de son soutien naval, rien n'aurait été possible. Le rôle de De Grasse qui a assuré une bonne coopération interarmes et interalliée doit être souligné, car l'histoire militaire regorge de campagnes manquées à cause des désaccords entre les généraux sur le choix des objectifs et l'emploi des moyens disponibles.
Sur l’instant, tout l’honneur de cette victoire franco-américaine revient cependant à Rochambeau et Washington. De Grasse, qui n’est pas présent au moment où Cornwallis rend son épée, se retrouve un peu oublié. À Paris, c’est La Fayette qui est fêté en héros. Ce dernier n’a joué qu’un rôle secondaire dans les opérations, mais le jeune homme, propagandiste infatigable de la cause américaine, rentre immédiatement en France où il reçoit un triomphe.
Dès la capitulation, de Grasse ordonne le rembarquement de ses matelots et des troupes de Saint-Simon (entre le 1er et le 3 novembre). Le 4 novembre, il lève l’ancre pour les Antilles, pour y passer l’hiver et y continuer la guerre. Le 25 novembre, l'escadre française arrive à Fort Royal.
La reddition de lord Cornwallis le 19 octobre 1781. Yorktown sonne comme une éclatante victoire franco-américaine où le rôle de De Grasse a été essentiel. (Gravure française de 1784)La situation militaire est alors plus complexe que ne le laisse croire la victoire de Yorktown. La guerre est terminée dans les treize colonies, et un armistice de fait s’installe entre les belligérants en attendant que les négociations de paix commencent. Mais partout ailleurs la guerre continue sans marquer de ralentissement. En Méditerranée, les franco-espagnols assiègent toujours Gibraltar et ont débarqué à Minorque. Dans l’océan Indien l’escadre de Suffren attaque les établissements anglais, cherche à reconquérir ceux que n’ont pas su défendre les Néerlandais, et donne la chasse aux vaisseaux du commodore Hugues. Mais c’est dans les Antilles qu’ont lieu les opérations de grande envergure. Ces îles, essentielles au commerce colonial de l’époque, sont très fortement disputées, tout comme la Floride, où les franco-espagnol ont débarqué l’année précédente. C’est donc là que se concentrent les plus grandes escadres, et où se jouent les dernières grandes batailles de ce conflit naval de haute intensité qu’est la guerre d’indépendance américaine.
La Royal Navy est très éprouvée par cette guerre où, en raison de la dispersion de ses escadres, elle a perdu la maîtrise de l’Atlantique qu'elle avait acquise contre la France et l’Espagne pendant la guerre de Sept Ans. Au printemps 1782, libérée de la guerre en Amérique du Nord, la balance des forces navales penche de nouveau du côté anglais. À cela s’ajoute un intense effort de construction navale qui creuse un écart technologique avec les vaisseaux français : presque tous les navires anglais sont maintenant doublés de cuivre. Cette innovation, qui a pour but au départ de lutter contre la prolifération des algues et des coquillages qui s’incrustent sur les coques, a aussi pour effet de rendre les navires plus rapides. À cela s’ajoute une arme nouvelle, la caronade , un canon court de gros calibre, monté sur les hauts ponts des vaisseaux et qui est utilisé en combat rapproché. Son feu déverse un torrent de boulets de tout calibre en mitraille, qui balaye le pont adverse ou pénètre jusque dans les entrailles du navire ennemi. Les chantiers navals français tournent aussi à plein régime, mais les Français commencent à peine à doubler les coques en cuivre en raison du coût élevé de l'opération, et aucune caronade n’y est encore disponible.
Bataille navale de Saint-Christophe, le 25-26 janvier 1782. Grasse affronte Hood après avoir mis à terre les troupes du marquis de Bouillé qui s'empare de l'île le 12 février (tableau de Thomas Maynard, 1783)La flotte de De Grasse, qui tient la mer depuis mars 1781 aurait besoin de repos. Les coups de vent, l'humidité, le sel usent les vaisseaux presque autant que les combats. Les marins connaissent bien ce problème, puisque les navires de guerre emportent tous en double un jeu complet de voiles et de cordages pour réparer en mer. Cependant, si la campagne dure trop longtemps, il faut obligatoirement disposer d'un port bien équipé pour de l'entretien plus approfondi. Les Anglais peuvent s'appuyer dans le secteur sur New York (comme après la bataille de la Chesapeake), la Barbade et la Jamaïque. Des ports bien équipés, avec des stocks de bois, d'armes, de gréements. Les Espagnols disposent des chantiers navals de La Havane, mais les Français n'ont aucune installation comparable dans la région.
Plus grave, il semble bien qu’une crise de commandement larvée s’installe dans l’escadre. Après Yorktown, de Grasse a demandé instamment à être relevé de son commandement. Sa santé se dégrade, mais le roi refuse de lui donner satisfaction. Le ministre de la marine, de Castrie, prétend même que personne ne peut le remplacer. Réponse malheureuse, car le commandant en chef malgré ses succès, est de plus en plus détesté, et l’atmosphère à bord des vaisseaux devient épouvantable. Comment en est-on arrivé là ? De Grasse est un fin manœuvrier, mais il est autoritaire et il manque totalement de sens psychologique, n’a aucune confiance en ses subordonnés et ne sait en aucune manière les encourager. En un mot, il est totalement dépourvu du charisme du chef que les hommes apprécient au point de lui obéir en toutes circonstances juge Étienne Taillemite. Les critiques les plus acerbes pleuvent contre le vainqueur de la Chesapeake et de Yorktown. Chose à peine croyable, mais révélatrice, de nombreux commandants prétextant des problèmes de santé rentrent en France, ce qui n’améliore pas la cohésion de l’escadre.
Plan de la bataille de Saint-Christophe (ou Saint-Kitts). 25 et 26 janvier 1782. La garnison anglaise de l'île de Saint-Christophe au nord (St-Kitts sur la carte) capitule le 12 février 1782.Pour finir, le ravitaillement et les renforts pour la campagne de 1782 n'arrive pas : l'important convoi de troupes et de vivres qui quitte Brest en décembre escorté par 19 vaisseaux de ligne est attaqué et dispersé par la Royal Navy. Guichen, un bon chef jusque-là invaincu, n’a pu empêcher les 12 vaisseaux du commodore Kempenfeld de prendre 15 bateaux de transport et 1 000 soldats.
Cette déconvenue met de Grasse dans une situation délicate, mais il dispose encore de la supériorité numérique. Il assure la protection des convois français et s’empare de l'île de Saint-Christophe avec le marquis de Bouillé, qui commande les troupes à terre. L’amiral Hood réussit à jeter l’ancre par surprise entre les deux, menaçant l’offensive française, puis s’échappe pendant la nuit du 26 janvier 1782. L’île tombe entre les mains des Français le 12 février 1782. Ce combat est aussi appelé bataille de Saint-Kitts. Le trait d’audace de Hood contribue à restaurer la confiance dans la marine anglaise, alors que l’amiral George Brydges Rodney, un vieux loup de mer, prend le commandement de la Royal Navy aux Antilles en avril. Il dispose de 37 vaisseaux de ligne, dont la moitié arrivant directement d’Angleterre, presque tous doublés de cuivre et équipés de caronades. Concentrée à la Barbade, cette flotte est le fer de lance de la Navy. De son côté, Rodney, qui a été facilement vainqueur d'une flotte espagnole en 1780, a été par la suite sévèrement tenu en échec par les Français Guichen et La Motte-Picquet. Il est donc déterminé à prendre sa revanche : « Il s’agissait de sauver l’honneur de Sa Majesté et de montrer à ces damnés Français que les Anglais restaient les seuls maîtres des océans » note Jean-Christian Petitfils.
Fin de la 1ère partie