Le très honorablePierre Elliott Trudeau (né Joseph Philippe Pierre Yves Elliott Trudeau le 18 octobre 1919 à Montréal - décédé le 28 septembre 2000 dans la même ville), était un diplômé en droit, devenu un homme politique canadien. Il exerça les fonctions de premier ministre du Canada à deux reprises : du 20 avril 1968 au 3 juin 1979, puis du 3 mars 1980 au 30 juin 1984.
Il influença fortement la politique canadienne par diverses interventions. Son caractère flamboyant et intellectuel servit à rehausser la visibilité du Canada sur la scène mondiale. Sous Trudeau, le Canada établit des relations avec la Chine communiste en 1970. En tant que ministre de la Justice sous Lester Pearson, il mit de l'avant le Bill omnibus qui légalisa le divorce, décriminalisa l'avortement et l'homosexualité, constatant que « l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ».
Pierre Elliott Trudeau est né le 18 octobre 1919 à Outremont sur l'île de Montréal, fils d’un entrepreneur canadien français, Charles-Émile Trudeau, et d’une dame de la bourgeoisie canadienne anglaise, Grace Elliott. Aîné d’une famille de trois enfants, Trudeau naquit peu de temps après que son père eut fondé l’Automobile Owner’s Association : ce n’est donc pas dans l’opulence, mais dans les tensions financières et la crainte de voir la compagnie sombrer dans la faillite qu’il vécut les premières années de sa vie. Il fit ses études primaires à l’académie Querbes, puis alla au Collège Jean-de-Brébeuf pour ses études secondaires. Durant ces années, le réseau de stations-service Champlain, de son père, prospéra jusqu’à ce qu’il le vende pour la somme d'un million de dollars à l’Imperial Oil. À partir de ce moment, les Trudeau purent vivre dans un certain confort financier.
Durant ces journées, Pierre était un enfant fragile et timide, n’ayant pas encore développé la confiance en soi et l'excentricité qui feraient sa marque des années plus tard, lors de sa carrière politique. Son père savait comme il était dur à l’époque de prospérer pour un Canadien français. Il entreprit donc de rendre son fils coriace et malin, l’incitant à pratiquer la gymnastique suédoise, la crosse, le hockey et à poser des questions embarrassantes aux adultes, afin de l’extérioriser. Pierre s’habitua au caractère exubérant de son père et se tailla une place de plus en plus importante dans son univers.
En avril 1935, Charles-Émile Trudeau décéda à l’âge de 47 ans, d'une pneumonie. Pierre, alors âgé de 15 ans, en fut profondément bouleversé. Il adopta alors un comportement outrancier, insolent, provoquant et imprévisible avec ses amis, sans doute pour masquer son désarroi. Avec sa famille, il resta l’adolescent poli et discret qu’il avait toujours été. Comme pour se détacher de son père, il délaissa les activités populaires qu’il pratiquait plus jeune pour se lancer dans des cours de diction et des sports solitaires.
À la sortie de Brébeuf, il s’inscrivit à la faculté de droit de l’Université de Montréal. Malheureusement, il trouva les cours ennuyeux et inutiles, ce qui le conduisit à dire que l’étude du droit au Québec dans les années 1940 ne menait qu’à « une vie minable parmi des gens incapables d’aligner deux idées ». Il finit toutefois ses cours et entreprit de pratiquer le droit comme stagiaire. Il se serait alors joint à la société secrète des Frères chasseurs
Son désintérêt de la profession d'avocat conjugué au climat social déplaisant qui régnait à cette époque au Québec (c’était la Seconde Guerre mondiale et la crise de la conscription) l’amenèrent à quitter le Canada en septembre 1944. Alors âgé de 24 ans, Trudeau décida de faire une maîtrise en économie politique à l’Université Harvard au Massachusetts. Après la guerre, il s’inscrivit à l’École libre des sciences politiques de Paris. Après une année, déçu de la qualité des cours qui ne valaient pas ceux d’Harvard, il alla en Angleterre étudier à la London School of Economics. Il y suivit les cours du haut dirigeant du Parti travailliste anglais, Harold Laski, et devint grâce à ce professeur un fervent partisan des idées socialistes. Puis, ne trouvant toujours pas sa place dans la société, il entreprit un voyage autour du monde durant lequel il traversa notamment la Chine à vélo.
Trudeau revint au Québec en 1949. Maurice Duplessis était alors Premier ministre du Québec et la province s’industrialisait en dépendant des investissements américains. À son retour, une grève illégale éclata à Asbestos (les mineurs de l’amiante exigeaient de meilleures conditions de travail) et Trudeau décida d’accompagner Gérard Pelletier, son ami qui se rendait à Asbestos pour suivre les événements pour le compte du journal Le Devoir. Très rapidement, Pierre prit parti pour les manifestants par des discours virulents qui attirèrent l’attention du chef syndical Jean Marchand et lui valurent d’être brièvement détenu par la police locale. Puis, sa passion pour la politique le conduisit à postuler pour un poste de fonctionnaire à Ottawa, poste qu’il obtint, devenant ainsi fonctionnaire attaché au conseil privé pendant un an (jusqu’en 1951).
Puis, il se joignit à Cité Libre*, une revue attaquant Duplessis et le clergé catholique conservateur du Québec. L’auteur principal de cette revue était Gérard Pelletier. Ce dernier deviendra un des plus grands collaborateurs et amis de Trudeau. Ce dernier publia donc dans Cité Libre et dans le journal Le Devoir plusieurs articles suggérant des réformes sociales et une plus grande égalité. Puis, en 1956, il coordonna la publication du livre La grève de l’Amiante. Trois ans plus tard, il reçut la médaille du président de l’Université de Western Ontario pour le meilleur essai savant de l’année : Some Obstacles to Democracy in Québec.
La même année, Duplessis meurt et, le 22 juin 1960, les libéraux provinciaux de Jean Lesage prennent le pouvoir. Trudeau devient alors professeur de droit constitutionnel mais, très vite, il se lance en politique fédérale en se présentant comme candidat libéral. Aux élections de 1965, il est élu député de Mont-Royal. Pearson (le premier ministre canadien à l’époque) le choisit alors pour être son secrétaire parlementaire. En 1967, il devient, toujours sous Pearson, ministre de la Justice. En décembre, il déposa un projet de loi légalisant l’avortement, le divorce et l’homosexualité. En conférence de presse, il prononça, pour justifier son point de vue, une citation qui restera célèbre : « L’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ». En 1967, Pearson organisa une conférence constitutionnelle des premiers ministres où Trudeau, en tant que ministre fédéral de la Justice, domina largement les débats, ce qui accrût sa popularité. Lorsque Pearson prit sa retraite quelques semaines plus tard, Trudeau remporta, bien que difficilement (au 4e tour contre Robert Winters), la course à la chefferie du Parti libéral du Canada, devenant par le fait même le quinzième premier ministre du Canada.
Dès qu’il fut élu premier ministre, Trudeau s’appliqua à faire du Canada un véritable pays pluraliste en s'inspirant grandement des politiques du Royaume-Uni en matière d'immigration et en tentant de rassembler les deux principaux peuples fondateurs du pays, parfois surnommés les deux solitudes. Un des gestes notoires qu’il fit dans cette direction fut d’adopter la loi sur les langues officielles, officialisant par le fait même le caractère bilingue du Canada en obligeant les institutions fédérales à offrir des services en anglais et en français à la grandeur du pays, tout en créant le poste de commissaire aux langues officielles. Bien qu'en apparence uniquement positives, ces deux mesures, la politique d'immigration et celle de la langue, demeurent controversées puisqu'elles ont pu servir à affaiblir le nationalisme québécois et suscitent des craintes chez les anglophones qui prônent l'unilinguisme.
Des Québécois avaient déjà commencé à revendiquer l’indépendance de leur province dès le début des années 1960. Les plus extrémistes formèrent le Front de Libération du Québec (FLQ), un réseau promouvant la souveraineté québécoise par des actes radicaux. En octobre 1970, des membres du FLQ enlevèrent le diplomate britannique James Richard Cross et le ministre provincial du travail, Pierre Laporte. Ils seraient responsables de la mort de Pierre Laporte survenue pendant sa détention. Ils confectionnèrent aussi des bombes artisanales qu’ils déposèrent dans des boîtes aux lettres de quartiers anglophones de Montréal, visant ainsi un symbole fédéraliste, la poste. À la demande du Premier ministre du Québec (Robert Bourassa) et du maire de la ville de Montréal (Jean Drapeau), Trudeau met à la disposition du gouvernement du Québec l'armée pour appuyer les forces policières et proclame la Loi sur les mesures de guerre La Loi sur les mesures de guerre met en suspens l'application de la Déclaration canadienne des droits de l'homme et accorde aux autorités des pouvoirs étendus dont celui de procéder à des arrestations et à des détentions préventives. Sous ses ordres, les policiers procéderons à plus de 400 arrestations excessives (dont celle d'Andrée Ferretti, Pauline Julien, Gaston Miron et Gérald Godin) et injustifiées qui ne débouchèrent sur aucune accusation malgré une détention incommunicado de plusieurs mois dans certains cas.
En 1976, le gouvernement Trudeau déposa en chambre le projet de loi C-84 abolissant la peine capitale au Canada. Le premier ministre Trudeau prononça en chambre un discours passionné à l'appui du projet, qui fut finalement adopté par 130 voix contre 124 à la mi-juillet
En 1976, Pierre Elliott Trudeau, fit à Cuba l'une des premières visites d'État d'un leader occidental pendant l'embargo imposé par les États-Unis. Ce qui est étrange en raison des différends idéologiques des deux hommes. Il apporta 4 millions de dollars d'aide canadienne et offrit un prêt de 10 millions supplémentaires. Dans son discours, Trudeau déclara : « Longue vie au commandant en chef Fidel Castro. Longue vie à l'amitié cubano-canadienne. » L'amitié entre les deux hommes se poursuivit après le retrait du premier ministre de ses fonctions et Trudeau se rendit à de nombreuses reprises sur l'île dans les années 1980 et 1990. Castro fit le déplacement au Canada en 2000 à Montréal (Québec) pour assister à ses funérailles. Ce fut d'ailleurs l'une des très rares fois où Castro n'a pas revêtu son traditionnel uniforme militaire vert pour une fonction officielle.
Un des adversaires les plus déterminés de Trudeau a sans aucun doute été René Lévesque. Ancien ministre libéral provincial, il fonda le Parti québécois avec lequel il remporta les élections de 1976. Le Parti québécois étant d’allégeance souverainiste, plusieurs escarmouches se déroulèrent entre les deux hommes lors des conférences fédérales-provinciales. René Lévesque instaura la loi 101, proclamant par le fait même le français seule langue officielle au Québec.
Le véritable affrontement arriva avec l’annonce du référendum sur la souveraineté association. Le 1er novembre 1979, le gouvernement péquiste publia son livre blanc, véritable plate-forme référendaire, et annonça la tenue d’un référendum imminent. Claude Ryan, alors chef de l’Opposition officielle à Québec et chef du Parti libéral provincial, conclut alors avec Lévesque que le fédéral ne devrait pas intervenir dans la campagne et que Ryan serait donc le chef du Non. Les libéraux provinciaux composèrent un document nommé Une nouvelle fédération canadienne sur lequel ils voulaient se baser pour la campagne référendaire.
Les libéraux fédéraux, constatant les difficultés éprouvées par leur collègues provinciaux et anticipant une victoire du Oui, vinrent leur prêter main forte. Trudeau discuta longuement avec Ryan et le convainquit d’oublier son livre beige (surnom donné au document Une nouvelle fédération canadienne). Puis, il nomma Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, responsable du référendum. Ce dernier créa une équipe de gestion de crise installée au Bureau des relations fédérales provinciales (BRFP). Graduellement, Chrétien prit le contrôle du camp du Non. La contre-attaque fédérale pouvait commencer.
Le camp du Non avait l’avantage de pouvoir compter sur les premiers ministres des provinces anglophones, qui affirmèrent un à un qu’il n’était pas question que leur province ait une quelconque association économique (comme le suggérait Lévesque) avec un Québec indépendant : on le considèrerait comme un pays étranger. Les ministres fédéraux intervinrent aussi illégalement pendant la campagne en faveur du Non. Par exemple, Monique Bégin, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, fit accompagner d’un inséré bilingue le chèque d’allocation familiale reçut par plusieurs familles canadiennes : « Non merci : ça se dit bien ». Un slogan qui était à double sens pour les Québécois. À la mi-avril, Trudeau profita du discours du Trône pour saboter les arguments du Oui et lancer un appel au fédéralisme. Puis, il se lança dans une tournée au Québec où il prononça trois de ses plus grands discours.
Trudeau fit son dernier discours sur le référendum le 14 mai au centre Paul Sauvé. Il défendit passionnément le fédéralisme canadien, accusant Lévesque de tromper les souverainistes et d’être illogique. Puis il se défendit de l’insulte que ce dernier lui avait adressée six jours plus tôt :
« Et l’on doit aussi dire NON au mépris parce que c’est là qu’ils en sont arrivés. On m’a répété que M. Lévesque disait qu’une partie de mon nom était Elliott et que, comme Elliott est un nom anglais, il était parfaitement compréhensible que je milite du côté du Non, parce que je ne suis pas aussi québécois que ceux qui voteront Oui. Cela, mes chers amis, c’est du mépris. C'est-à-dire que les Québécois qui voteront Non ne sont pas d’aussi bons Québécois que les autres et que peut-être une ou deux gouttes de sang étranger coule dans leurs veines, alors que le sang des tenants du Oui est pur... Bien sûr, mon nom est Pierre Elliott Trudeau. Oui, Elliott, c’était le nom de ma mère, voyez-vous. C’était le nom des Elliott qui sont venus au Canada il y a plus de deux cents ans. C’est le nom des Elliott qui se sont installés à Saint-Gabriel-de-Brandon, où vous pouvez encore voir leur tombe au cimetière, il y a plus de cent ans. C’est ça, les Elliott. Mon nom est québécois, mon nom est canadien aussi, et puis c’est ça mon nom. »
Trudeau conclut en annonçant qu’au lendemain de la victoire du Non, il s’engagerait à renouveler la constitution, à faire de réels changements.
« Ici, je m'adresse solennellement à tous les Canadiens des autres provinces. Nous mettons nos sièges en jeu, nous, députés du Québec, parce que nous disons aux Québécois de voter NON. Et nous vous disons à vous des autres provinces que nous n'accepterons pas ensuite que ce NON soit interprété par vous comme une indication que tout va bien puis que tout peut rester comme c'était auparavant. Nous voulons du changement, nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du changement! »
Le 20 mai 1980, s’est déroulé le référendum. 60 % des Québécois ont voté Non et 40 % Oui.
Le 21 mai 1980, Trudeau déclara à la Chambre des communes qu’il allait rapatrier et renouveler la constitution canadienne, l'A.A.N.B. Le soir même, Jean Chrétien s’envola vers les capitales provinciales pour sonder l’avis des provinces. Il ne rencontra que 9 premiers ministres puisque René Lévesque, encore bouleversé de sa défaite référendaire, refusa de le rencontrer. Trudeau désigna Michael Kirby, un professeur d’informatique ignorant tout de la constitution, mais habile dans l’art de faire des compromis, adjoint exécutif du BRPF. Ainsi, Kirby devait seconder Chrétien.
Le 9 juin 1980, s'est tenue à Ottawa une conférence des premiers ministres. Trudeau leur présenta alors les principaux points qu’il voulait incorporer à une nouvelle constitution canadienne : égalité des minorités par rapport aux anglophones, pas de statut particulier pour le Québec, plus de pouvoirs au gouvernement fédéral pour contrôler l’économie, etc. Sa proposition contenait le rapatriement de l’A.A.N.B. actuelle, un préambule, une formule d’amendement et une charte canadienne des droits et libertés. Évidemment, les provinces s’outrèrent que le gouvernement fédéral demande plus de pouvoirs et refusèrent d’emblée cette proposition. Le seul compromis auquel parvinrent les deux groupes fut la mise sur pied du Comité ministériel permanent sur la constitution. Ce comité se rencontra quatre fois dans l’état sans apporter de résultats concrets.
En septembre 1980, Trudeau convoqua à nouveau une conférence constitutionnelle des premiers ministres dans le but de les convaincre d’accepter son projet. L’Ontario et le Nouveau-Brunswick l’appuyèrent, mais le refus des huit autres provinces rendit à peu près impossible toute négociation. Trudeau annonça donc, le 2 octobre, qu’il tenterait de rapatrier la constitution unilatéralement. Ainsi, il manifestait son intention de faire voter à la Chambre des communes et au Sénat une résolution demandant au Parlement de Londres d’adopter les modifications qu’il proposait à l’A.A.N.B. Des députés revendiquèrent aussitôt la tenue d’audiences parlementaires sur le sujet. Trudeau dut donc créer la commission Hays-Joyal, ce qui ralentit beaucoup son plan, mais eut au moins l’effet positif de légitimer la constitution et de prouver son utilité. En effet, plusieurs groupes de citoyens vinrent aux audiences affirmer l’importance d’incorporer ceci ou cela à la Charte des droits et libertés, prouvant ainsi sa nécessité.
Entre temps, les premiers ministres provinciaux se concertèrent. Ils se rencontrèrent d’urgence le 14 octobre. Richard Hatfield (premier ministre du Nouveau-Brunswick) et Bill Davis (premier ministre de l'Ontario) furent rapidement délaissés puisqu’ils étaient favorables à la mesure unilatérale mise de l’avant par Trudeau. Les huit autres provinces se liguèrent contre le projet pour former ce qu’on appela la bande des huit. Elles convinrent d’une stratégie reposant essentiellement sur la contestation du projet fédéral devant les tribunaux et devant le gouvernement britannique.
C’est dans ce contexte qu’une délégation canadienne se rendit à Londres pour exposer leur demande au parlement. Margaret Thatcher (qui était alors Première ministre de l’Angleterre) avait précédemment assuré Trudeau de son soutien, mais l’opposition de certains députés britanniques ralentit le projet. Les provinces dissidentes en profitèrent pour aller à Londres rallier des députés à leur cause. Le Gouvernement québécois nomma Gilles Loiselle, souverainiste convaincu, à la Québec Housse. Ce dernier établit une liste de députés susceptibles de s’opposer au rapatriement de la constitution et les invita à de grands banquets payés par Québec. Il alla même jusqu’à divulguer des informations confidentielles à un député travailliste pour qu’il sollicite une étude de la proposition canadienne par le comité des affaires extérieures. Cela mena à la commission Kershaw, qu’on chargea d’analyser la proposition canadienne. Les fédéraux, soutenant que seule leur proposition était bonne et que les provinces n’avaient aucune raison de la contester, la boycottèrent. Cette commission accorda donc naturellement son appui aux provinces, en affirmant que «Le Parlement britannique ne saurait accepter inconditionnellement la validité constitutionnelle de n’importe quelle demande émanant du Parlement canadien sans une large approbation de provinces.»
À la mi-février 1981, Jean Chrétien déposa une nouvelle version du projet gouvernemental sur la constitution suite aux recommandations de la commission Hays-Joyal. Les modifications suggéraient entre autres des garanties plus élevées que les libertés individuelles soient respectées. Les provinces, quant à elles, fières de leur succès londonien, mirent en branle la deuxième phase de leur stratégie : la contestation devant les tribunaux. Elles choisirent trois tribunaux provinciaux pour défendre leur cause : la cour d’appel du Manitoba, la cour suprême de Terre-Neuve et la cour d’appel du Québec. C’est le Manitoba qui se prononça en premier, donnant raison au fédéral. La joie des trudeauistes fut toutefois de courte durée puisque le 31 mars, la cour suprême de Terre-Neuve déclara que le gouvernement fédéral «n’était pas habilité à présenter un amendement qui affecterait directement les dispositions de l’A.A.N.B. touchant les relations fédérales-provinciales...sans avoir obtenu l’accord préalable des provinces.». Ainsi, puisqu’un tribunal donnait raison aux provinces, bien que la cour d’appel du Québec ait elle aussi statué en faveur du fédéral peu après, le gouvernement fédéral fut contraint de demander à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur la constitutionnalité de la proposition de rapatriement unilatéral de Trudeau.
Pendant cinq jours, de la fin avril et du début mai 1981, les juges écoutèrent les différents partis. Puis, il leur fallut cinq mois pour rendre leur arrêt. Le 28 septembre, les juges annoncèrent finalement qu’à 6 voix contre 3, ils étaient en faveur de la thèse des provinces que tout amendement exige leur accord substantiel (et non unanime). Toutefois, ils étaient à 7 voix contre 2 d’avis qu’il était parfaitement légal d’expédier la proposition de Trudeau à Londres bien que cela soit, selon eux, politiquement illégitime. En bref, ils avaient donné raison en partie et aux provinces et au fédéral pour les inciter à reprendre les négociations. Trudeau consentit donc à organiser une ultime conférence, à tenter une dernière fois d’arriver à un accord avec la bande des huit.
Le lundi 2 novembre 1981, s’ouvrit à Ottawa une deuxième conférence constitutionnelle des premiers ministres. Toutefois, cette fois-ci, les deux partis étaient prêts à négocier. Par exemple, le Premier ministre de l’Ontario (qui était pour le rapatriement) consentit à se départir du traditionnel droit de veto que possédaient lui et le Québec et qui était inclus dans le projet de constitution canadienne. Le lendemain, il proposa aussi que les provinces acceptent la Charte des droits et libertés en échange que le fédéral accepte la formule d’amendement albertaine (qui obligeait un vote unanime des provinces comme pré-requis à toute modification constitutionnelle). À sa grande surprise, Trudeau rejeta cette proposition.
C’est le mercredi que la dynamique changea réellement. En effet, Trudeau suggéra aux provinces un référendum national sur le rapatriement de la constitution (chose à laquelle les provinces s’étaient toujours opposées) et René Lévesque accepta. Il fallut quelques heures aux péquistes pour se rendre compte de l’erreur monumentale que leur chef avait commise. Ce dernier avait contrevenu à une règle primordiale de la bande des huit : se consulter avant de changer de position. Pour les 7 autres provinces dissidentes, ce fut comme si Lévesque avait conclu un accord avec Trudeau et elles aussi s'empressèrent de parlementer avec le fédéral de peur d’être mises de côté lors d’une éventuelle entente.
Chrétien prépara une nouvelle proposition qui incluait la formule d’amendement de l’Alberta, la possibilité pour les provinces de se retirer d’un programme fédéral pour le remplacer par un programme provincial, mais sans compensation financière d’Ottawa et le droit à l’éducation dans leur langue aux minorités. Des fonctionnaires de toutes les délégations sauf celle du Québec se rencontrèrent dans la suite de la Saskatchewan pour marchander sur certains points de la proposition de Chrétien. Ils se mirent tous d’accord et Trudeau, bien que réticent au début, consentit à donner son accord lorsque Davis l’appela pour lui annoncer les propositions sur lesquelles s’étaient mises d’accord les provinces. À Hull, où séjournait la délégation québécoise, on savait que quelque chose se tramait à Ottawa, mais les fonctionnaires n’en glissèrent pas un mot à René Lévesque. Dans la nuit du 6 au 7 novembre 1981, les premiers ministres des provinces anglophones s'entendirent en l'absence de Lévesque sur une proposition fédérale. Le 7, tous les premiers ministres sauf Lévesque ratifièrent la proposition de Chrétien. La délégation québécoise rentra chez elle, se sentant trahie par les agissements des autres provinces lors de la soirée précédente, qu’on ne tarda pas à appeler la nuit des longs couteaux.
Trudeau annonce son imminent retrait de la vie politique au début de l'année 1984. Cependant, il tend à s'accrocher au pouvoir qu'il lui reste. De plus, avant de quitter son poste de Premier ministre, il nomme à plusieurs postes clefs un grand nombre de libéraux fidèles à sa cause.
Trudeau quitte officiellement la politique le 30 juin 1984. Il retourne ainsi à Montréal, sa ville natale, et se consacre à la pratique du droit pour diverses compagnies privées. De plus, il voyage un peu partout dans le monde, tel qu'il le fit toute sa vie.
En 1987, lorsque le Premier ministre du Canada, Brian Mulroney, présente aux Canadiens l'Accord constitutionnel du lac Meech, Trudeau reprend la parole sur la place publique. Il critique avec véhémence cet accord qui, selon lui, « rendrait le Canada complètement impotent ». Il en fera de même lors du référendum sur l'Accord constitutionnel de Charlottetown, en 1992.
Pierre Elliott Trudeau devra cependant se taire et demeurer complètement absent lors du second référendum sur l'indépendance du Québec tenu le 30 octobre 1995. Si lors des deux accords il avait réussi avec de puissants discours à influencer l'opinion publique du Canada, cette fois-ci, en toute logique, une majorité fédéraliste considéra qu'il ne pouvait qu'enflammer le débat au Québec et peut-être même favoriser l'option souverainiste
Pierre Elliott Trudeau est mort le 28 septembre 2000. Ses funérailles nationales ont eu lieu en la Basilique Notre-Dame de Montréal, le 3 octobre.
Le legs de Pierre Elliott Trudeau fait l'objet d'évaluations variant grandement selon les convictions politiques de leurs auteurs. De forts ressentiments subsistent à son égard surtout au Québec et dans l'Ouest canadien. Dans l'Ouest, on considérait sa politique comme trop favorable envers l'Ontario, le Québec et les nationalistes québécois ; on ne lui a pas non plus pardonné son Programme énergétique national, qu'on accuse d'avoir ruiné l'économie florissante de l'Ouest dans les années 1970.
Dans l'Est, de nombreux nationalistes québécois désapprouvent fortement l'homme quant à ses politiques de répression face au mouvement souverainiste. De même, plusieurs fédéralistes (dont Claude Ryan) et souverainistes (dont René Lévesque) désapprouvent la redéfinition de la Confédération de 1867 que mena Trudeau en 1982 avec les provinces à majorité anglophone, sans l'accord du seul État représentant l'autre nation fondatrice du Canada, le Québec.
N°1909 (2001)N° 1909 a