Le beau temps règne rarement sur la Manche ; soit elle disparait dans le brouillard, soit elle est noyée soues la pluie, et le vent, cet ennemi des premiers aviateurs, y souffle en permanence. Il vient buter sur les falaises où il crée des remous imprevisibles et dangeureux. A son point le plus étroit, la Manche étend ses eaux gris-vert sur un peu plus de 33 km entre les falaises de Douvres et le promontoire balayé par les vents du cap Gris-nez près de Calais. C'est à cet endroit que vinrent s'installer Blériot et Latham.
En juillet 1909, près de Sangatte, à quelques kilomètres au sud-ouest de Calais, le jeune et populaire avaiteur hubert Latham installa sous un hangar son nouveau monoplan Antoinette IV avec lequel il voulait concourir pour le prix du Daily Mail. Et il avait encore parié 17000 francs non seulement qu'il gagnerait, mais encore avant le 1er août, c'est à dire quelques semaines plus tard. Des deux côtés de la Manche, tout le monde pensait qu'il réussirait...
Il avait emmené avec lui à Sangatte Léon Levavasseur, un colosse roux et barbu, ancien artiste, qui avait conçu l'Antoinette IV et son moteur. L'avion avait été nommé d'après le prénom de la fille de son associé, et il était aussi élégant et gracieux qu'elle. Il avait 12,80 mètres d'envergure et un fuselage en bois verni long de 11,50 mètres qui s'amincissait progressivement jusqu'à une queue semblable à celle d'un oiseau.
Un longue attente commença en ce mois de juillet. Enfin, le lundi matin 19 juillet, le brouillard se dissipa et Latham estime le moment venu de tenter l'aventure. Levavasseur s'embarqua à bord d'un contre-torpilleur français et donna le signal de l'envol en agitant un drapeau tandis qu'une salve annonçait que le bateau était paré pour l'escorte. Latham emballa le moteur, ses hommes lachèrent l'avion qu'ils aviaent retenu jusqu'alors et il décolla, cap sur l'Angleterre.
Il n'avait parcouru qu'une douzaine de kilomètres en mer quand le moteur lacha. L'hélice ralentit, s'arrêta et l'appareil, après une chute d'environ 300 mètres, amerrit sur le ventre. Hubert Latham allongea allongea les jambes par dessus le fuselage flottant sur une mer agitée, et alluma paisiblement une cigarette en attendant les secours.
Il arriva à Calais enveloppé dans l'imperméable d'un officier de marine, coiffé d'un béret de matelot, toujours impassible en dépit de ses vêtements trempés. Il embrassa une jolie fille, annonça qu'il allait prendre un bain de vapeur et se préparer à une nouvelle tentative avec un autre avion. "Je n'ai pas été heureux cette fois-ci", observa t-il avec assurance, "mais la Manche sera vaincue demain. Je recommencerai et je réussirai."
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Seul un extrordinnaire coup de chance avait permis à blériot de pouvoir prendre le départ. Il avait dépensé toute sa fortune et la dot de sa femme dans ses expériences et, au débute de 1909, il était à bout de ressources. Mais le 1er juillet 1909, son épouse, en visite chez les parents d'un riche planteur haïtien habitant Paris, avait réussi à retenir in extremis le jeune fils du planteur au moment où il emjambait un balcon de l'appartement. En témoignage de gratitude, le père pretta 25000 francs à Blériot. La situation restait néanmoins précaire et l'aviateur écrivit plus tard : "il me faut continuer parce que, comme le joueur, il faut que je me rattrappe. Je dois voler."
Son dernier avion, le bleriot XI, ne paraissait guère compétitif en face de l'Antoinette. Petit et disgracieux, il ne possédait, avec ses 14 mètres carrés, que le quart de la surface alaire de l'appareil de latham. Les chances de Bleriot reésidaient en fait dans son minuscule moteur conçu par un italien fruste et mal embouché nommé Alessandro Anzani. Le moteur de 25 chevaux était pourtant très primitif. les cylindres de fonte rugueuse n'était même pas sablés, des trous percés çà leur base permettait l'évacuation des gaz d'échappement. L'huile chaude s'échappait par des orifices à bout de course et enduisait le pilote d'un couche visqueuse de sorte qu'il fallait à l'aviateur une sorte d'héroïsme pour persévérer dans la conduite de ce misérable mécanisme !
Mais les moteurs Anzani possédait une qualité qui compensait le reste : ils ne lachaient pas. Blériot avait effectué avec le sien des vols de 5 minutes, puis d'un quart d'heure et enfin d'une demi heure avant de juger qu'ils était suffisamment fiable pour risquer la traversée de la Manche.
Blériot maîtrisait parfaitement son appareil mais il n'était pas très sûr de trouver un endroit où attérir dur cette côte anglaise qu'il ne connaissait pas. La plage de Douvres était trop étroite et la célèbre falaise de Shakespeare, avec ses 90 mètres, trop haute d'au moins 30 mètres pour son avion. Harles Fontaine, journaliste français, chargé de rapporter l'arrivée de Louis Blériot, offrit d'examiner le terrain et il finit par découvrir à côté du chateau de Douvres, dans une cuvette herbeuse, une trouée dans le falaise située à moins de 30 mètres au dessu de l'eau. Il acheta quelques cartes postales, y marqua l'endroit d'une croix et les envoya à Blériot avec une note indiquant qu'il l'attendrait à cet endroit en agitant un grand drapeau français.
Le samedi 24 juillet, le temps restait maussade ; le vent balayait les côtes françaises et faisait moutonner le mer. Le vent cependant se mit à faiblir et à deux heures du matin, était clair, le temps calme. Latham, revenu à sangatte, laissa un mot à Levavasseur : "Minuit : le vent paraît se calmer. Si cela continue, me réveiller à 3h30."
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Hors ce fut le campement de Blériot qui se leva le premier. On alla chercher le patron en voiture à son hôtel. Aux baraques, Anzani, tout excité courait en chemise de nuit en tirant des coup de revolver à blanc.
Bleriot se leva de fort méchante humeur : "J'avoue, reconnut-il plus tard, "que je n'étais nullement disposé à partir... Et j'aurais été heureux d'entendre dire que le vent soufflait si fort qu'aucune tentative n'était possible." Il n'avait pas faim mais ses amis l'obligèrent à manger un morceau. Il conduisit sa femme à bord du contre-torpilleur "Escopette" et, en arrivant aux baraques, il avait retrouvé son énergie habituelle et donna des ordres d'une voix tonitruante pour que l'on sorte l'avion du hangard. "J'avais cette fois du courage pour deux", dira-t-il.
En dépit de l'heure matinale, les curieux se pressaient dans la cour de la ferme et toute cette agitation irrita Blériot. Pendant qu'on faisait chauffer le moteur, un chien se précipita sur l'hélice qui le déchiqueta et certains villageois y virent un mauvais présage. Le règlement de l'épreuve interdisait le décollage avant le lever du soleil.
en attendant l'heure du départ, Blériot décolla pour un cour vol d'essai ; l'Anzani pétaradait dans un fracas infernal mais régulièrement, la nouvelle hélice en bois avait un rendement magnifique et le pilote se posa bientôt sans difficulté.
sur la plage des baraques, un pavillon signala le lever du soleil : Blériot pouvait donc décoller. Il était 4h41 exactement, et l'on était le dimanche 25 juillet 1909.
"Une toute petite émotion s'empare de moi au moment où je prends place dans l'appareil", raconta Blériot. "Je me dis : que vas t-il m'arriver ? Irai-je jusqu'à douvres ? réflexion rapides, fugitives quine durent heureusement pas. "Je ne pense plus maintenant qu'à mon appareil, au moteur, à l'hélice. Tout est en mouvement, tout vibre. Au signal, les ouvriers lachent l'appareil. Me voilà soulevé !"
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Le pilote mit plein gaz pour passer au-dessus des fils du télégraphes au bout du champs, franchit les dunes et dépassa l'Escopette dont la fumée obscurcissait le ciel au point qu'il craignit un instant d'être parti trop tôt. Mais le soleil était bien levé et Blériot se concentra sur le pilotage : "Je vais tranquillement, sans aucune émotion, sans aucune impression réelle", racontera t'il par la suite. Il me semble être un ballon". L'absence de tout vent me permet de ne faire agir aucune commande de gouvernail et de gauchissement. Si je pouvais bloquer ces commandes, je pourrais mettre les deux mains dans les poches... Et le moteur, quelle merveille ! ah ! mon brave Anzani, il ne bronche pas !" (...)
"Ne voulant pas retarder ma marche, j'avais fait mon deuil de "l'Escopette" et je n'avais plus de guide. Tant pis, advienne que pourra ! Pendant une dizaine de minutes, je suis resté seul, isolé, perdu au milieu de la mer immense, ne voyant aucun point à l'horizon, ne percevant aucun bateau. Ce calme troublé seulement par le ronflement du moteur, fut un charme dangereux...
ces dix minutes parurent longues et vraiment je fus heureux d'apercevoir vers l'ouest une ligne grise qui se détachait de la mer et qui grossissait à vue d'oeil. Nul doute, c'était la côte anglaise. J'étais presque sauvé. Je me dirige aussitôt vers cette montagne blanche. Mais le vent et la brume me prennent. Je dois lutter avec mes mains, avec mes yeux... Je ne vois pas Douvres. Ah ! diable ! où suis-je donc ?
en fait Blériot, déporté au nord, avait manqué Douvres. Mais la chance lui sourit à nouveau sous la forme de trois bateaux. "Des remorqueurs ? Des paquebots ?" raconte-t-il. "Peu importe ! Ils paraissent se diriger vers un port : Douvres sans doute et les suis tranquillement. Des marins m'envoient des hourras enthousistes. J'ai presque envie de leur demander la route de douvres. Hélas, je ne parle pas anglais !
Blériot longe alors les hautes falaises vers le sud : "Le vent contre lequel je lutte maintenant reprend de plus belle. Soudain, au bord d'une infractuosité qui se dessine sur la côte, j'aperçois un homme qui agite désespérément un drapeau tricolore et qui s'égosille, seul dans la grande plaine à crier : Bravo ! Bravo ! Je ne me dirige pas, je me précipite plutôt vers la terre. Au risque de tout casser, je coupe l'allumage à 20 mètres de hauteur. Et maintenant, au petit bonheur ! Le chassis se reçoit plutôt mal : l'hélice est endommagée, mais, ma foi, tant pis : j'avais traversé la Manche."
Charles Fontaine (6) se précipita vers le pilote, l'embrassa sur les deux joues et l'enveloppa dans les plis du drapeau français. Il était 5h13 ; le vol de 38 kilomètres avait prit juste 32 minutes.
"c'est fait", dit seulement Blériot. "Et Latham?"
"Latham est encore à Sangatte."
C'était vrai. Latham, le favori, avait échoué pour la deuxième fois. pour une raison incompréhensible, on l'avait laissé dormir alors que Blériot prenait l'air. Finalement c'est le ronlement du moteur de son rival qui l'avait réveillé !
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Extrait "les premiers aviateurs" de la collection "la conquête du ciel" des editions Time-Life