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« J’accuse…! » est le titre d'un article rédigé par Émile Zola lors de l'affaire Dreyfus. Il est publié dans le journal L'Aurore du 13 janvier 1898 sous la forme d'une lettre ouverte au Président de la République Félix Faure. Au travers d'un véritable pamphlet accusateur, la contestation d'une décision de justice au nom de valeurs universelles, l'écrivain décide de s'exposer publiquement, afin de comparaître aux Assises pour qu'un nouveau procès, plus indépendant puisse se dérouler. C'est cet article qui relance l'affaire Dreyfus, au moment où, le véritable coupable (le commandant Esterházy) étant acquitté, tout pouvait sembler perdu pour le camp dreyfusard. Cet article représente le symbole de l'éloquence oratoire et du pouvoir de la presse mis au service d'une cause juste et généreuse.
En 1898, Émile Zola est un écrivain au sommet de la gloire, non élu de l'Académie française, mais tout de même décoré de la Légion d'honneur et président de la Société des gens de lettres. Ayant achevé l'important cycle romanesque des Rougon-Macquart en vingt volumes, il termine à ce moment-là un triptyque, Les Trois Villes et s'apprête à en commencer un autre : Les Quatre Évangiles. Il est à l'abri du besoin, même à la tête d'une petite fortune, après des décennies de vache maigre. Il n'a plus rien à prouver ni à gagner dans un engagement comme celui qu'il s'apprête à prendre.
Reconnu avant tout comme romancier, Zola a débuté sa carrière d'homme de lettres dans la presse, dont il a compris le pouvoir croissant. Journaliste passé par toutes les rubriques de nombreux journaux, y compris les faits divers, il y a acquis la maîtrise d'une écriture sage mais percutante. Surtout, son éloquence tranquille en fait l'un des éditorialistes à la fois les plus respectés et les plus craints de la presse parisienne. Il s'est aussi fait longtemps connaître comme critique d'art, épinglant ou louant les nouveaux mouvements picturaux, comme les anciens. Son passage au Figaro a été particulièrement remarqué, quotidien qu'il quitte officiellement le 22 septembre 1881 dans un article à la Une : Adieux pour se consacrer entièrement aux Rougon-Macquart.
Avant ses premiers contacts à l'occasion de l'affaire Dreyfus, Zola n'a jamais fait de politique, hormis un bref intermède à la chute du Second Empire, afin d'obtenir un poste de sous-préfet, sans succès. Observateur attentif de cette fin de régime et de la naissance de la Troisième République, il s'est tenu à l'écart de tout engagement. Mieux, son observation du monde politique le rend sceptique, et il gardera toujours une once de mépris et d'incrédulité face à un personnel politique, beaucoup trop compromis à son goût. Il reste, cela dit, convaincu que la République et la démocratie sont les meilleurs garants des libertés publiques. Et il sait, pour la bien connaître, qu'il peut compter sur une presse contre-pouvoir, le jour où il décidera de s'engager pour une cause[
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L'affaire Dreyfus commence à l'automne 1894 sur la base d'une lettre appelée Bordereau. Cette lettre prouve que des fuites sont organisées vers l'ambassade d'Allemagne à Paris. Un capitaine d'état-major juif, Alfred Dreyfus, est ainsi accusé d'espionnage et condamné au bagne à perpétuité car son écriture ressemble à celle du Bordereau. Malgré les dénégations de l'accusé, un dossier vide de preuves, l'absence de mobile, le Conseil de guerre a condamné à l'unanimité. C'est cette unanimité qui emporte l'adhésion quasi-totale de l'opinion publique française : Dreyfus a trahi et a été justement condamné, pense-t-on. Le capitaine est dégradé dans la cour d'honneur de l'École militaire à Paris, puis expédié à l'Ile du Diable, en Guyane française. Deux longues années passent.
La famille du capitaine n'a jamais accepté les circonstances de cette condamnation. Mathieu Dreyfus, le frère du condamné, et Lucie Dreyfus, son épouse, ne peuvent s'y résoudre et engagent tout leur temps et leurs moyens. Petit à petit, des informations filtrent, des détails s'amoncèlent encourageant la famille dans la voie de la révision. Parallèlement, Georges Picquart, nouveau chef des services secrets français, s'aperçoit à l'été 1896, que le véritable auteur du Bordereau n'est pas Alfred Dreyfus, mais Ferdinand Walsin Esterházy, commandant d'infanterie, criblé de dettes. Fort de ces constatations, le colonel Picquart prévient ses chefs. Mais ces derniers refusent de rendre l'erreur publique et insistent afin que les deux affaires restent séparées. Devant l'insistance du colonel Picquart, celui-ci est limogé et transféré en Afrique du Nord. Alors qu'il est l'objet de diverses machinations de son ancien subordonné, le commandant Henry, Picquart confie ses secrets à son ami, l'avocat Louis Leblois. Celui-ci, révolté par l'iniquité faite au capitaine Dreyfus, se confie à son tour au vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner. Mais tous deux décident de garder le secret.
Le tournant, c'est la publication du fac-similé du Bordereau par le journal le Matin en novembre 1896. L'écriture du coupable est placardée dans tout Paris, et inévitablement elle est reconnue : c'est celle d'Esterházy. Mathieu Dreyfus en est informé et Lucie Dreyfus porte plainte contre le véritable traître. L'un des vice-présidents du Sénat, Scheurer Kestner, intervient officiellement, et devient la cible des nationalistes et des antisémites. Le Haut-commandement vole au secours d'Esterházy, mais n'a d'autre choix que de le faire comparaître en Conseil de guerre. Adroitement manipulés, l'enquêteur, de Pellieux et les militaires magistrats acquittent le véritable traître au terme d'une comédie de deux journées, à l'issue d'un délibéré de deux minutes. La coupe est pleine. Zola, qui avait déjà écrit trois articles assez modérés dans le Figaro, décide de frapper un grand coup au travers d'une lettre ouverte au Président de République[
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La source du combat d'Émile Zola est à rechercher dans la tradition d'engagement politique de l'intellectuel illustrée notamment par Voltaire et l'affaire Calas au XVIIIe siècle ou encore plus récemment, par Victor Hugo, dont l'affrontement avec Louis Napoléon Bonaparte reste vivant dans tous les esprits. Ces écrivains ont su à l'occasion consacrer leur savoir-faire, leur habileté rhétorique, à combattre l'intolérance, l'injustice. Ils ont mis leur célébrité au service de la cause défendue, sans soucis des conséquences. Le camp dreyfusard cherchait à générer un engagement de ce type, souhaitait l'emblème littéraire pour la cause. La presse de l'automne-hiver 1897-1898 fait de nombreuses fois référence à l'affaire Calas ou au Masque de fer, en réclamant un nouveau Voltaire pour défendre Alfred Dreyfus. Mais les grandes plumes avaient disparu, Honoré de Balzac, Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet, qui meurt à ce moment-là, en décembre 1897. Des grands hommes de lettre célébrés, ne restait qu'Émile Zola. Il décide ainsi d'intervenir directement dans le débat au cours de l'automne 1897, après une longue réflexion. C'est que jusqu'à cette date, le romancier a ignoré pratiquement l'affaire Dreyfus. Elle ne l'intéressait pas, à l'exception de la montée des périls antisémites qui le navraient.
Approché par le vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner, Zola est convaincu de l'iniquité, car il détient des informations indirectes mais sûres de l'avocat Louis Leblois. Ce dernier est en effet le confident et le conseil du colonel Picquart, ex-chef des Renseignements militaires ; ce cercle restreint connaît depuis la fin de l'été le nom du véritable coupable, le commandant Esterházy. Zola, révolté par l'injustice et les réactions insultantes de la presse nationaliste, décide d'écrire plusieurs articles en faveur du mouvement dreyfusard naissant dans le Figaro en cette fin d'année 1897. Le premier, intitulé M. Scheurer-Kestner, paraît le 25 novembre et se veut un plaidoyer en faveur de l'homme politique courageux qui se dresse contre l'injustice de la condamnation du capitaine Dreyfus. C'est cet article qui expose le leitmotiv des Dreyfusards pour les années à venir : « La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera », en démontrant une fois de plus le sens de la formule de l'auteur des Rougon-Macquart. Mais cet article, et les deux suivants, titrés Le Syndicat le 1er décembre et Procès-verbal le 5 décembre, restent sans effet notoire. Les militaires, pas plus que les politiques ne sont impressionnés par cet engagement certes résolu, mais encore modéré. Cela dit, l'engagement relatif d'Émile Zola a quand même révulsé une partie du lectorat de ce journal sérieux qu'est le Figaro. Des pressions nombreuses incitent sa direction à informer le romancier que ses colonnes lui seront désormais fermées. Fernand de Rodays, l'un de ses directeurs, le plus favorable à la cause dreyfusarde,décide alors de passer la main à son associé et se retire de la direction du Figaro.
La légende veut qu'Émile Zola ait écrit « J'Accuse…! » en deux jours, entre le 11 et le 13 janvier, sous le coup de l'émotion issue du verdict d'acquittement rendu au profit du commandant Esterházy. Mais les spécialistes ne sont plus de cet avis. La densité d'informations de l'article et divers indices montrant l'intention de Zola[N 5] font pencher plutôt pour une préméditation qui remonte bien avant le procès Esterházy, fin décembre 1897. Du reste, il semble que Zola ne croyait pas à la condamnation d'Esterházy, d'après son meilleur ami, Paul Alexis, à qui Zola révèle une semaine avant la fin du procès sa certitude de l'acquittement du véritable traître. Mais les deux options sont envisagées : ou Esterházy est reconnu coupable et l'article appuiera sur les zones d'ombre de l'Affaire en exigeant la révision ; ou c'est l'acquittement et le pamphlet n'en sera que plus redoutable. Dans les deux cas, l'objectif est de répondre violemment à l'iniquité : on décide de lancer une bombe !
Après le retrait du Figaro, Émile Zola songe à publier son texte en plaquette, n'ayant plus de support journalistique. Mais Louis Leblois, ami du colonel Picquart, suggère à Zola de se rapprocher du journal l'Aurore et de Clemenceau
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« J'Accuse…! » paraît deux jours après l'acquittement d'Esterhazy par le conseil de guerre (11 janvier), qui semble ruiner tous les espoirs nourris par les partisans d'une révision du procès condamnant Dreyfus. L'article, distribué dès huit heures du matin, fait toute la une et une partie de la seconde page du quotidien, dont 200 000 à 300 000 exemplaires s'arrachent en quelques heures. C'est le texte d'un écrivain, une vision de romancier qui transforme presque les acteurs du drame en personnages de roman. Charles Péguy, est témoin de l'évènement :
« Toute la journée, dans Paris, les camelots à la voix éraillée crièrent L'Aurore, coururent avec L'Aurore, en gros paquets sous les bras, distribuèrent L'Aurore aux acheteurs empressés. Le choc fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner. »
Et par un pur hasard, au moment même où les premiers exemplaires de J'Accuse…! sont vendus dans les rues parisiennes, Picquart est arrêté à son domicile et incarcéré au Mont-Valérien. Le même jour, les élections du président du Sénat et de ses vice-présidents voient la défaite d'Auguste Scheurer-Kestner, premier politique dreyfusard, désavoué par ses pairs au surlendemain du verdict d'acquittement du procès Esterházy. C'est dans ce contexte dramatique pour les défenseurs d'Alfred Dreyfus que paraît J'Accuse…!
Le support inattendu du texte d'Émile Zola est un jeune quotidien militant, le journal l'Aurore. C'est une feuille du matin très récemment créée, fin octobre 1897. Le quotidien n'a donc que trois mois d'existence au moment de la parution de l'article de Zola. Le jeudi 13 janvier 1898, le titre affiche ainsi le n°87. Son fondateur et directeur, Ernest Vaughan, politiquement très marqué par Proudhon, avait adhéré à l'Internationale dès 1867. Collaborateur à plusieurs journaux, il était devenu le gérant de l'Intransigeant en 1881, qu'il dut quitter à cause d'un différent avec son beau-frère, Henri Rochefort en 1888. Après avoir créé l'Aurore en 1897, il quitte la presse en 1903. Lors de ce lancement, Vaughan tient absolument à s'attacher les services de Georges Clemenceau, qui vient de faire cesser la parution de la Justice quelques mois plus tôt, après seize ans de parution et 688 articles. Une autre personnalité du journal est Alexandre Perrenx, quarante-quatre ans en janvier 1898. C'est le gérant du journal, dont le nom sera connu essentiellement au moment du procès d'Émile Zola, comme son co-accusé, défendu par Albert Clemenceau, le frère de l'éditorialiste. Il semble toutefois n'avoir joué aucun rôle dans la publication du texte de Zola.[url]
L'Aurore est donc un petit quotidien avant tout orienté vers la vie artistique et littéraire. Il offre aussi une tribune politique à un centre gauche républicain progressiste, principalement incarné par Georges Clemenceau, son éditorialiste. Logé rue Montmartre au troisième étage d'un immeuble en arrière-cour, les locaux sont modestes, l'équipe de rédaction réduite à une demi-douzaine de collaborateurs, provenant principalement des quotidiens la Justice comme Gustave Geffroy ou l'Intransigeant. Le journal dispose de sa propre composition, mais pas de son imprimerie. L'impression du journal est confiée à l'imprimerie Paul Dupont, qui traite aussi la production du Radical, du Jour et de la Patrie. C'est aussi la raison pour laquelle ces quatre journaux portent la même adresse, celle de leur imprimeur. Le principal collaborateur de Vaughan, Urbain Gohier dont les outrances anti-militaristes feront fuir de nombreux lecteurs dreyfusards, provoque le départ de Clemenceau lui-même en 1899. L'équipe rédactionnelle comprend aussi un collaborateur de poids en la personne de Bernard Lazare, auteur des premières brochures éditées pour défendre Alfred Dreyfus. C'est lui qui, en quelques semaines, convainc l'équipe rédactionnelle de l'iniquité. L'Aurore restera le chef de file des journaux dreyfusards parisiens en offrant une tribune à toutes les principales figures du mouvement. Émile Zola y reste fidèle jusqu'à sa mort, offrant même au quotidien la publication en feuilleton de son roman Fécondité, à son retour d'exil en 1899.
La publication du pamphlet de Zola constitue l'heure de gloire du journal, par ailleurs d'une audience fort modeste. Alors que les tirages moyens sont très généralement inférieurs à 30 000 exemplaires, ils culminent certainement au-delà de 200 000 exemplaires à cette mi janvier 1898, mais on ne connaît pas exactement la diffusion de l'édition du 13 janvier 1898, qui est située entre 200 000 et 300 000 copies. La parution du titre cesse le 2 août 1914, au moment de l'ouverture des hostilités avec l'Allemagne, par défaut d'employés, tous mobilisés[
Fin de la 1ère partie[/url]