Les papillons mutants de Fukushima
Un an et demi après la catastrophe de Fukushima, des biologistes japonais ont mis en évidence une mutation génétique chez des papillons exposés aux radiations. L’étude ravive les inquiétudes sur les conséquences humaines de l’accident nucléaire. Par France 2 (vidéo)
Gaëlle LE ROUX (texte) Les zizeeria maha, des petits papillons bleus, étaient jusqu’alors considérés comme particulièrement résistants aux effets de la radioactivité. Mais un an et demi après l’accident nucléaire de Fukushima, des scientifiques japonais ont révélé des mutations génétiques chez ces insectes, capturés à proximité de la centrale et particulièrement exposés aux radiations. L’étude a été rendue publique mardi 14 août dans la revue "Scientific Reports".
Les biologistes ont d’abord capturé un groupe de 144 papillons dans dix endroits différents du Japon, dont la région de Fukushima, deux mois après l’accident nucléaire de mars 2011. Ils étaient à l’état de larve au moment de la catastrophe. Les spécimens collectés près de la centrale endommagée ne présentent pas, selon l’étude, un taux de malformation différent des autres. En revanche, 18 % des papillons de la génération suivante, nés du croisement d’insectes sains et d’insectes exposés aux radiations, sont anormaux. Ils ont notamment des antennes atrophiées, des malformations des pattes, des lésions au niveau des yeux et des ailes…Ce chiffre passe à 34 % pour la génération d’après. Six mois après la catastrophe, plus de la moitié des papillons capturés lors d’une seconde opération près de la centrale de Fukushima présentent des anomalies morphologiques.
En exposant à des radiations des papillons non affectés préalablement, les scientifiques sont parvenus à prouver que les malformations constatées chez les papillons de Fukushima étaient bel et bien dues aux émanations radioactives provoquées par l’accident nucléaire. "Nous en avons tiré la conclusion claire que les radiations dégagées par la centrale de Fukushima Daiichi avaient endommagé les gênes des papillons, assure Joji Otaki, professeur à l’université Ryukyu d’Okinawa, dans le sud du Japon. Nos résultats étaient inattendus : nous avons toujours cru que ces insectes étaient très résistants aux radiations."
Quid des effets chez l'être humain ?
Si les résultats de cette étude sont préoccupants, aucune conclusion générale sur l’impact de l’accident ne doit pour l’heure être tirée, précise le chercheur. L’effet observé n’est aujourd’hui avéré que sur les papillons, pas sur les autres espèces animales ou sur l’homme. Pourtant, nombre de scientifiques tirent la sonnette d’alarme quant aux effets probables de la catastrophe sur la santé humaine. Tim Mousseau, biologiste spécialiste de l’impact des radiations sur les animaux et les plantes à l’université américaine de Caroline du Sud, est l’un d’entre eux. "Cette étude est importante et bouleversante dans ses implications pour les communautés humaines et biologiques vivant à Fukushima", a-t-il déclaré sur la BBC.
Michel Fernex, médecin suisse, professeur de médecine à l’université de Bâle et ancien président de l’organisation Les enfants de Tchernobyl Belarus, s’en inquiète également. À son retour d’un récent séjour au Japon, où il a été invité par des associations de victimes de Fukushima, le professeur a témoigné d’impacts d’ores et déjà visibles sur les hommes, notamment sur les enfants. "J’ai pu rencontrer quatre professeurs [de l’université de médecine de Fukushima], raconte-t-il dans un entretien publié dans le quotidien "l’Alsace" fin juillet. Ils étaient très surpris de voir apparaître chez des sujets jeunes des infarctus du myocarde, du diabète, des maladies des yeux. […]. [Les études de l’institut indépendant Belrad auprès des populations touchées par Tchernobyl] ont mis en évidence les liens entre contamination, notamment par le Césium 137, et ces pathologies."
Il relate également l’apparition de maladies de la thyroïde. "Mais les cancers ont un temps de latence qui fait qu’ils ne séviront que dans quatre ans, tout comme les cancers du cerveau chez les enfants et plus tard chez les adultes", assure-t-il. Puis il poursuit : "Le nombre de bébés de faible poids à la naissance augmente. Le nombre de naissance de filles baisse de 5 % parce que l’embryon féminin est plus vulnérable". L’évolution des maladies du nouveau-né et du mongolisme reste en revanche inconnue. "Ces données sont gardées secrètes", affirme Michel Fernex. Comme pour Tchernobyl*, les chercheurs japonais subissent l’intimidation des autorités pour qu’ils ne poussent pas leurs études trop loin, selon le médecin. "Directive a été donnée à l’université de Fukushima de ne pas parler de nucléaire. Seul un jeune professeur d’écologie tente des études sur les conséquences de la catastrophe sur les enfants. Il subit des menaces", rapporte-t-il.
Bataille de chiffres
Plus de 26 ans après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en avril 1986 en Ukraine, une bataille des chiffres est toujours en cours autour des conséquences sanitaires de l’accident. Les experts de l’ONU, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sont régulièrement accusés de fournir des bilans tronqués et des chiffres extraordinairement bas concernant le nombre de décès et maladies directement imputables à l’exposition des populations aux radiations, après l’accident.
"L'AIEA a deux missions: contrôler le nucléaire militaire et promouvoir le nucléaire civil, une entreprise qui commence par la négation des conséquences d'une catastrophe comme Tchernobyl", accusait ainsi Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) en 2005, au lendemain de la publication d’un rapport de 600 pages validé par huit agences de l’ONU, dont l’AIEA et l’OMS, qui n’imputait "que" 4 000 morts à l’accident de Tchernobyl.
Au Japon, aucune personne n’est décédée directement du fait des radiations provoquées par l’accident de Fukushima. Mais les habitants de la région et les travailleurs qui interviennent dans la centrale endommagée craignent des effets à long terme. Quatre études épidémiologiques ont été lancées dans le pays après la catastrophe. Elles devraient durer 30 ans. Aucune donnée médicale notable n’a, pour l’heure, été rendue publique. Parallèlement, l’équipe de biologistes auteure des études sur les papillons bleus s’attèle désormais à faire des recherches sur l’impact des radiations sur des animaux. Les résultats ne devraient pas être connus avant plusieurs années.
*Youri Bandajevskaïa, un médecin biélorusse travaillant sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, a été arrêté en 1999 puis condamné deux ans plus tard à huit ans de prison. Il avait démontré l’effet toxique du Césium 137, même à faible dose, sur les enfants et les adultes, et n’avait de cesse d’appeler son gouvernement à prendre des mesures pour protéger les populations.
Voir la vidéo:
http://www.france24.com/fr/20120815-jap ... -nucleaire