Le Maître chat ou le Chat botté est un conte français en prose racontant l'histoire d'un chat qui utilise la ruse et la
tricherie pour offrir le pouvoir, la fortune et la main d'une princesse à son maître mal-né et sans-le-sou. Ce conte fut écrit à la fin du XVIIe siècle par Charles Perrault (1628-1703). La première version connue provient d'un manuscrit illustré, intitulé « Les Contes de ma mère l'Oye », et paru en 1695, soit deux ans avant la publication du recueil de huit contes de Perrault « Histoires ou contes du temps passé Avec des moralités » par Barbin en 1697. Le Chat botté connut instantanément le succès et reste populaire de nos jours, malgré une morale ambiguë.
Il existe de très nombreuses analyses et études, basées sur ses personnages et ses thèmes, concernant la symbolique et la morale de ce conte. Le Maître chat ou le Chat botté peut être vu comme un récit initiatique au travers du combat contre l'ogre par exemple, ou un reflet des mœurs de l'époque de Perrault (investiture royale, rôle de la bourgeoisie, droit d'aînesse…) tout comme une histoire immorale faisant l'apologie de la ruse et de la tricherie sur le travail honnête. On y retrouve aussi de très vieux thèmes populaires liés à des motifs indo-européens et au culte des animaux attesté un peu partout dans le monde, sous le vernis de l'influence culturelle française à la fin du Grand Siècle.
Le Chat botté connaît une diffusion fulgurante et mondiale, au point d'inspirer des dessinateurs, compositeurs, chorégraphes, et de nombreux autres artistes. Ce Chat apparaît notamment dans le troisième acte « pas de caractère » du ballet La Belle au bois dormant de Tchaikovsky et jusqu'à l'époque moderne, ses adaptations sont multiples, depuis le théâtre jusqu'aux films et aux romans ou à la bande dessinée, en passant par les parodies, comme l'atteste le personnage du Chat potté.
À son décès, un vieux meunier laisse à ses trois fils l'intégralité de ses biens. L'aîné hérite du moulin, le cadet de l'âne, et le benjamin du chat. Sans un sou en poche et ne sachant que faire d'un tel cadeau, ce dernier songe à le manger mais le Chat s'avère doué de parole. Contre un sac et une paire de bottes, et avec beaucoup de ruse, l'animal est désormais déterminé à faire la fortune de son maître. Dans ce but, le Chat capture un lapin dans la forêt et l'offre au roi comme un cadeau de son maître, le « marquis de Carabas ». Il se met à amener ainsi régulièrement du gibier au roi, pendant plusieurs mois.
Un jour, sachant que le roi et sa fille voyagent le long de la rivière, le Chat persuade son maître de retirer ses vêtements et d'entrer dans la rivière. Il cache les habits de son maître derrière un rocher, puis appelle à l'aide. Lorsque le roi arrive, le Chat explique que son maître, le « marquis de Carabas » s'est fait dépouiller de ses habits alors qu'il se baignait dans la rivière. Le roi offre de riches vêtements au jeune homme et l'invite à s'asseoir dans son carrosse aux côtés de sa fille qui tombe instantanément amoureuse de lui.
Le Chat court en précédant le carrosse et ordonne aux gens qu'il rencontre tout au long de la route de dire au roi que cette terre appartient au marquis de Carabas. Il entre ensuite dans un château habité par un ogre qui est capable de se transformer en un grand nombre de créatures. L'ogre le reçoit aussi civilement qu'il le peut, et se transforme en lion pour prouver ses capacités, effrayant ainsi le Chat botté. Ce dernier lui demande alors s'il est capable de se changer en souris. Lorsque l'ogre s'exécute, le Chat botté lui saute dessus et le dévore. Le roi arrive au château qui appartenait à l'ogre, et, impressionné par les biens du « marquis de Carabas », offre la main de sa fille au petit meunier. Peu après, le Chat devient grand seigneur, et ne court plus après les souris que pour se divertir.
Le conte est suivi de deux morales :
« L’industrie et le savoir-faire valent mieux que des biens acquis »
« C’est que l’habit, la mine et la jeunesse, pour inspirer de la tendresse, n’en sont pas des moyens toujours indifférents ».
La première illustration du Chat botté sur le manuscrit de 1695 est réalisée à l'encre et coloriée à la gouache, elle représente le Chat qui menace les paysans en se dressant, les pattes en avant, pour leur dire : « Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pré que vous fauchez appartient à monsieur le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté. » Le Chat paraît, de plus, aussi grand que le paysan auquel il s'adresse. Selon l'étude de Marc Soriano, cette image met en avant son humanité et son agressivité, et a joué un grand rôle dans la perception du conte jusqu'à nos jours. On ignore qui est l'auteur du dessin, ce pourrait être Perrault, ou alors, il a fait réaliser ce dessin sous ses directives.
Le graveur Antoine Clouzier reprend la même image pour la première édition du conte en 1697. La diffusion de cette image est impressionnante, puisque toutes les éditions du conte depuis 1697 la réemploient, et ce dans l'Europe entière. Les graveurs anglais ont même ajouté des griffes au Chat, ce qui accentue l'impression de menace.
Le frontispice de la première édition dépeint une vieille femme contant des histoires à un groupe de trois enfants sous une pancarte titrée « Contes de ma mère Loye ». Le frontispice anglais est similaire à la version originale ; la pancarte est cependant traduite.
Selon Bruno Bettelheim, « Plus un personnage de conte de fée est simple et franc, plus il sera aisé pour un enfant de s'identifier à lui et de rejeter le méchant personnage. » Si le personnage est une personne très gentille, alors l'enfant voudra probablement devenir le gentil. Les contes amoraux comme le Chat botté ne polarisent ou ne juxtaposent pas les gentils et les méchants parce qu'ils construisent un personnage qui ne choisit pas entre le bien et le mal, mais donne à l'enfant l'espoir que le plus humble peut survivre. La morale n'est pas l'intérêt principal de ce type de conte, mais il donne l'assurance qu'on peut survivre et réussir sa vie. Les attentes des jeunes enfants peuvent se montrer déçues. Cependant, les contes de fées permettent aux plus petites réussites (comme devenir l'ami d'un animal) d'acquérir grande dignité et ces événements ordinaires peuvent conduire à de plus grands bénéfices à long terme. Ils peuvent aussi permettre à l'enfant de croire que ses petites réussites sont importantes bien que non reconnues sur le moment.
Les folkloristes Iona et Peter Opie observent que « le conte est inhabituel parce que le héros ne mérite pas sa bonne fortune, comme si sa pauvreté, le fait d'être le troisième enfant, et son acceptation sans poser de question des instructions malhonnêtes du chat n'étaient plus vues comme des vertus de nos jours. » Si La Belle au bois dormant ou Le Petit Poucet offrent à l'enfant une riche matière pour surmonter obstacles et conflits, le Chat botté est quant à lui un récit dont la morale est ambiguë, laissant entendre que la ruse paie plus rapidement et plus sûrement que le labeur ou le talent. Le chat devrait être acclamé comme le prince des bonimenteurs, comme peu d'escrocs l'ont été avant ou après lui.
Dans un aparté, Maria Tatar suggère aussi que ce qu'il y a à retenir du conte est « le respect qu'il peut inspirer pour ces créatures domestiques qui chassent les souris et guettent leur maître ». Dans Fairy Tales and the Art of Subversion Jack Zipes note que « Perrault recherchait à décrire les types idéaux pour renforcer les standards du processus de civilisation de la haute société française. »
George Cruikshank, illustrateur renommé des romans de Charles Dickens, a été choqué que les parents autorisent leurs enfants à lire Le Chat botté et a déclaré que « le conte est une succession de mensonges réussis et une leçon ingénieuse pour inventer un système basé sur l'imposture récompensé par les meilleurs avantages. »
Le fils du meunier, qui obtient au fil du récit le titre de « marquis de Carabas », est le dernier-né d'une famille de trois enfants. Cette particularité revêt une grande importance, en effet, à l'époque de la rédaction des contes de Perrault, le droit d'aînesse faisait que l'aîné d'une famille héritait traditionnellement de tous les biens de ses parents. De ce fait, sa subsistance était assurée. Par contre, le dernier-né devait souvent faire fortune par lui-même, quitte à devenir une sorte de vagabond qui court le monde en quête de gloire et de fortune. En outre, Perrault était lui-même le cadet de cinq garçons parmi sept enfants. Le dernier-né était condamné à travailler dur pour gagner une reconnaissance et une forme de désaveu du système d'héritage se retrouve dans de nombreux contes, dont le Chat botté.
Selon Jack Zipes dans une étude croisée sur l'ensemble des contes de Perrault, les héros de cet écrivain ne sont pas particulièrement beaux mais actifs, courageux, ambitieux, adroits, et ils utilisent leur esprit, leur intelligence et leur grande politesse pour gravir les échelons sociaux et parvenir à leurs fins. Ici, c'est le Chat qui possède toutes ces caractéristiques et l'homme qui profite de ses talents et de sa ruse. Au contraire des contes traitant des femmes soumises attendant le mariage telles la princesse du Chat botté, ceux qui sont centrés sur un homme suggèrent que la réussite et l'obtention d'un certain statut social sont plus importants que le mariage pour les hommes. Les vertus des héros de Perrault reflètent la vision de la bourgeoisie à la cour de Louis XIV, et celle de Perrault qui était un domestique ayant réussi.
« Marquis de Carabas » est un titre de noblesse usurpé dont le nom exotique est inventé par le Chat botté pour son maître. En faisant passer son maître miséreux pour un marquis, le Chat espère attirer sur lui l’attention et les faveurs du roi. L'origine de ce nom qui sonne à l'orientale n'est pas clairement établie[
Pour Armand Langlois, le personnage central du conte n'est pas le Chat botté mais le fils du meunier. L'animal symboliserait l'enfant libre, double merveilleux de l'enfant, il aide le héros en contrepartie de sa vie sauve
Le Chat est le seul héritage d'un jeune homme pauvre. Il n'hésite pas à mentir au roi, à manipuler l'ogre et à corrompre les paysans pour faciliter l'ascension sociale de son jeune maître, afin de pouvoir lui-même vivre oisivement par la suite. Maria Tatar remarque qu'il n'y a pas grand chose à admirer chez le Chat botté qui menace, triche, trompe, et vole pour aider son maître. Le Chat est vu comme un virtuose de la langue, une créature passée maître dans l'art de la persuasion et de la rhétorique pour obtenir le pouvoir et la fortune. Le Chat joue ainsi le rôle d'un voleur expérimenté, et Perrault semble avoir été un peu gêné de cette perception du chat, ce qui l'aurait conduit à le dissocier de son maître, bien qu'au final les deux se confondent assez souvent. Le thème de l'animal ayant recours à la ruse et à la tricherie pour aider son maître se retrouve par ailleurs dans d'autres légendes, telles que celle du pfingst-quack avec sa martre.
Selon Jack Zipes, le Chat botté est l'incarnation du secrétaire éduqué de la bourgeoisie servant son maître avec dévotion et diligence. Le Chat fait preuve d'une politesse et de manières suffisantes pour impressionner le roi, possède l'intelligence pour défaire l'ogre et le talent pour arranger un mariage royal en faveur de son maître mal-né. La carrière du Chat botté est couronnée par son titre de « grand seigneur » et le conte se termine par une double morale : l'une vantant l'importance du travail et du savoir-faire, l'autre de l'importance de l'apparence et de la jeunesse pour conquérir une princesse. Collin de Plancy voit également dans le Chat un habile courtisan et politique.
N°3058
Armand Langlois voit le conte comme un récit initiatique et philosophique, où le chat serait la force vive que le meunier aurait héritée de son père, cette force lui permettant de se réaliser. Le XVIIe siècle mystique et cherchant à digérer les débordements de la Renaissance rend cette hypothèse acceptable. Le Chat botté aurait été réécrit par Perrault dans un but d'éducation, mais aussi par le biais du message codé. Chaque action du chat ou du meunier semble être une étape vers la réalisation de soi, vers la perfection et la vérité universelle, et vers la connaissance. Cette force vive est activée par la confection de bottes, puis la fausse mort avec la scène de la noyade, puis la purification et la renaissance via le don d'habits royaux, puis par la lutte contre les forces obscures du microcosme et du macrocosme dans le combat contre l'ogre (qui rappelle un combat alchimique). Toutes ces actions sont dans la logique d'un parcours initiatique.
Charles Perrault a revu tous les contes populaires qu'il a collecté en leur insufflant une morale, et comme beaucoup de récits et d'œuvres d'art de cette époque, ils possèdent une seconde approche plus symbolique. Toutefois, la morale et la symbolique du Chat botté sont ambiguës et ont donné lieu à bien des interprétations. Emmanuel Cosquin voyait en 1895 dans la morale du Chat botté un thème indien, celui de la reconnaissance des animaux opposée à l'ingratitude des hommes, à mettre en relation avec d'autres contes similaires où l'animal donateur est mal récompensé, et que l'on trouve aussi bien dans le Caucase, chez les Swahilis, en Nubie ou en Italie. Pierre Saintyves réfute toutefois cette hypothèse au regard de nouvelles découvertes sur les contes.
N°4261
Maria Tatar pense que les morales introduites par Perrault sont étranges aux vues de la narration, ou hors sujet. La première morale explique au lecteur que le travail et l'ingéniosité sont préférables à la fortune obtenue dès la naissance, mais elle est démentie par le fait que le fils du meunier n'ait jamais travaillé ni utilisé son talent pour obtenir la main de la princesse. La seconde morale souligne la vulnérabilité des femmes aux apparences : de beaux vêtements et un visage plaisant sont suffisants pour gagner leur cœur. Les moralités sont souvent absentes des éditions modernes. Une théorie serait que ces moralités ajoutées à la première version du conte soient un jeu de lecture lettrée. Le Chat botté figurerait alors la rivalité de deux conteurs : le Chat menteur et le narrateur.