Re: EPHEMERIDE: La boite à clous. Ici on trouve de tout.
Publié : lun. mars 19, 2012 1:53 am
Les armées qui s'affrontent sont l'armée des Taiping d'une part, opposée à l'armée régulière chinoise (l'Étendard vert et les Huit Bannières), ensuite et surtout l'Armée de Xiang, levée et entraînée par le général Qing Zeng Guo Fan, puis l'Armée de l'Anhui, levée et entrainée par Li Hongzhang, et enfin, à partir de 1860, l'Armée toujours victorieuse.
L'organisation d'un corps d'armée Taiping était la suivante:
1 général (Wade-Giles : Chün shuai)
5 colonels (Wade-Giles : Shih shuai)
25 capitaines (Wade-Giles : Lü shuai)
125 lieutenants (Wade-Giles : Tsu chang)
500 sergents (Wade-Giles : Liang ssu ma)
2 500 caporaux (Wade-Giles : Wu chang)
10 000 fantassins
Cette organisation, faisant appel au chiffre 5, reflète l'organisation mise en place dans les campagnes, fondée sur des « unités familiales » regroupant 5 fois 5 familles : en effet, chaque famille devait contribuer à l'armée Taiping en envoyant un soldat ; un corps d'armée était donc la force militaire correspondant à 13 156 familles.
Ces corps d'armée étaient placés dans des armées de tailles variables. En plus des principales armées Taiping, organisées selon les principes ci-dessus, il y avait aussi des milliers de partisans favorables aux Taiping qui formaient des troupes d'irréguliers.
Le nombre total d'hommes combattant dans l'armée des Taiping est difficile à estimer, et a d'ailleurs varié selon les périodes, mais les estimations se situent entre 1 000 000 et 3 000 000 hommes. La principale source contemporaine est celle fournie par Ling Shanqing, un fonctionnaire Taiping, selon laquelle « les 112 armées de l'insurrection Taiping comptaient en tout 3 085 021 hommes, officiers, combattants, serviteurs et secrétaires » ; les 3 000 000 hommes qu'auraient pu comporter les forces Taiping semblent donc bien un nombre maximum.
Une particularité très inhabituelle de l'armée des Taiping était le nombre de femmes important qu'elle comprenait, de l'ordre de 100 000 femmes combattant dans « l'Armée des Femmes » des Taiping.
Femmes Zhuang dans le Yunnan
Ethniquement, l'armée des Taiping était formé au début essentiellement de deux groupes : les Hakka, un sous-groupe de la population Han (客家 ; pinyin : kèjiā, littéralement : « familles invitées »), et les Zhuang (chinois : 壯族 ; chinois simplifié : 壮族 ; pinyin: Zhuàngzú), un groupe ethnique non Han.
Ces deux groupes constituaient des minorités par rapport à la population Han dominante dans la Chine du sud. Ce n'est donc pas un hasard que Hong Xiuquan et les autres princes Taiping aient été des Hakka.
Comme leur nom de « familles invitées » le suggère, les Hakka étaient considérés comme des immigrés de fraiche date, souvent soumis aux moqueries et à l'hostilité de la majorité Han. En tant que derniers arrivants, ils ne cultivaient bien souvent que les terres les plus pauvres. C'est pourquoi les Hakka ont historiquement montré une beaucoup plus grande propension à la révolte que d'autres populations Han.
Quant aux Zhuang, c'est une population indigène d'origine Tai, qui constitue la population non-Han la plus importante de Chine. Peu à peu, au cours des siècles, les communautés Zhuang ont assimilé la culture Han. Ceci put se faire sans trop de difficultés, même si la langue parlée par les Zhuang n'a rien à voir avec le chinois, car la culture Han de la région témoigne d'une grande diversité linguistique, dont elle s'accommode facilement.
Cependant, une certaine tension entre Han et Zhuang était inévitable, menant parfois à des rébellions de la part des Zhuang.
Socialement et économiquement, les Taiping venaient presque exclusivement des classes les plus humbles. Beaucoup des soldats Taiping du Sud étaient d'anciens mineurs, particulièrement ceux d'origine Zhuang. Très peu de Taiping, même parmi leurs chefs, venaient de la bureaucratie impériale. Pratiquement aucun n'était propriétaire terrien, lesquels propriétaires terriens étaient d'ailleurs bien souvent exécutés dans les territoires occupés par les Taiping. En cela, l'armée des Taiping était fort proche de l'Armée populaire de libération du XXe siècle.
Il s'avéra vite que les généraux Taiping témoignaient d'une habileté militaire supérieure à celle de la plupart des généraux Qing.
Les principaux généraux Taiping furent les suivants :
lors des débuts, de 1851 à 1854 : Xiao Chaogui, Wei Changhui, Shi Dakai, Qin Rigang, Lin Qirong (林啟榮), Lai Hanying (賴漢英), Zeng Tianyang (曾天養), Li Kaifang, Luo Dagang (羅大綱) ;
de 1855 à 1859 : Li Xiucheng, Chen Yucheng, Yang Fuqing, Wei Jun, Li Shixian, Ye Yunlai, Huang Chengzhong, Liu Chunlin (劉瑲琳) ;
vers la fin, de 1860 à 1864 : Li Rongfa, Lai Wenkwok, Chen Kunshu.
À la tête de l'ensemble des forces armées Taiping se trouvait le Conseiller Militaire (軍師). Celui-ci fut tout d'abord Yang Xiuqing, puis, après l'assassinat de ce dernier en 1856, et le départ de Shi Dakai en 1857, le poste de Conseiller Militaire resta inoccupé.
L'armée régulière alignait au moins 2 000 000 hommes, mal entraînés, mal payés, mal équipés, et de plus — dans le cas de l'armée de l’Étendard vert, composée presque exclusivement de Chinois Han, à la différence des Huit Bannières mandchoues — peu motivés à se battre pour une dynastie mandchoue qui avait montré son incompétence et sa corruption.
L’armée de Xiang alignait 360 000 hommes environ en 1860 ; cependant, l'empereur Qing se rend vite compte de sa nette supériorité sur l'Étendard vert, et même sur les Bannières mandchoues, et augmente en conséquence son champ d'action, initialement limité au Hunan, pour l'étendre à d'autres provinces en lieu et place de l'armée régulière.
« L’Armée toujours victorieuse » enfin, toute petite avec ses 5 000 hommes, mais d'une grande efficacité, et affrontant régulièrement avec succès des forces Taiping dix fois plus nombreuses. Mais la petite armée formée par Ward était entraînée et équipée à l'occidentale, et disposait du meilleur armement disponible ; disciplinée et mobile, elle était appuyée par une flottille de canonnières et des moyens de transport.
La « bannière jaune à bordure », emblème d'une des unités d'élite de l'armée mandchoue traditionnelle.
C'est après l'installation de leur capitale à Nankin, en 1853, que les Taiping promulguent un édit intitulé « Régime agraire de la dynastie céleste », définissant un programme complet de réorganisation de la société, et non pas uniquement de l'agriculture. La plupart des mesures ci-dessous figurent en effet dans ce programme, qui précise également l'organisation et l'administration à mettre en place dans les villes et les campagnes:
la propriété privée est abolie et toutes les terres sont désormais détenues et réparties par l'État. Ce programme rappelle quelque peu le programme de la révolution « communiste » que Wang Mang avait mis en œuvre deux mille ans plus tôt, en l'an 9 après Jésus-Christ (mais au nom des principes confucéens) ; les terres, les moyens de culture, et les récoltes (en particulier en cas de pénurie) sont mises en commun;
les terres sont données à cultiver, à titre précaire, de façon strictement égalitaire pour toute personne âgée de 15 ans révolus et plus ;
les sexes sont déclarés égaux. Ce fut le tout premier régime chinois à admettre que les femmes se présentent aux examens pour entrer dans la fonction publique. De même, les femmes ont les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne la répartition des terres;
les sexes sont rigoureusement séparés ; il y a des unités militaires uniquement constituées de femmes. Jusqu'en mars 1855, même les couples mariés n'ont pas le droit de vivre ensemble ou d'avoir des relations sexuelles; les visites sont permises, à condition de se parler à voix haute et sans franchir le seuil. Il est interdit aux hommes de donner leur vêtements à laver ou à recoudre à une femme, car « avec un contact aussi intime, des relations amoureuses ne pourraient être évitées». La séparation des sexes est abandonnée en mars 1855. On organise alors à Nankin des mariages par tirage au sort. À cette occasion, les grands dignitaires ont droit à 10 femmes chacun, et Hong Xiuquan ainsi que Yang Xiuqing à beaucoup plus. Le fils de Hong Xiuquan, lorsqu'il atteint l'âge de 9 ans, en reçoit 4. Environ un millier de femmes se suicident pour échapper aux mariages ainsi organisés; ;
le pays est doté d'une organisation et d'une hiérarchie militaire, prévoyant la centralisation de toutes les activités au niveau national, et ne laissant pas de place aux droits individuels ou aux prérogatives locales ;
le bandage des pieds des femmes est interdit (les Hakka n'avaient jamais suivi cette tradition Han, et par conséquent, les femmes Hakka avaient toujours pu participer aux travaux des champs) ;
l'homosexualité masculine est punie de mort pour toute personne âgée de quinze ans révolus ou plus;
la natte imposée aux chinois Han par le régime mandchou est abandonnée au profit de la chevelure longue ;
le sujet d'étude comptant pour les examens d'entrée dans la fonction publique est désormais la Bible, et non plus les « classiques » confucéens ;
la langue chinoise est simplifiée ;
la détention et la propagation des classiques confucéens sont interdites, de même que la simple référence à leur contenu ;
les images d’« idoles » sont détruites (représentations bouddhistes, taoïstes...);
un calendrier solaire remplace le traditionnel calendrier lunaire ;
d'autres mesures sont promulguées, qui comprennent la prohibition de l'opium, du jeu, du tabac, de l'alcool, ainsi que l'interdiction de la polygamie (y compris le concubinage), de l'esclavage, des mariages forcés, de la prostitution, de l'abandon des petites filles, de l'adultère et de la sorcellerie ; les dots sont par ailleurs supprimées. Les sanctions en cas de non-respect de ces lois sont draconiennes ; ainsi le fait de fumer est puni de 100 coups de fouet à la première infraction, de 1 000 coups de fouet à la seconde, et de la peine de mort à la troisième.
Mais toute cette législation se révèle remarquablement inefficace, et d'ailleurs appliquée brutalement et sans discernement. Tous les efforts sont en fait concentrés sur l'armée, et l'administration civile est des plus médiocres. Les nouvelles règles sont mises en place dans les principales villes, mais sans grand souci de les appliquer dans les campagnes, que les Taiping contrôlent d'ailleurs fort mal.
Hong Xiuquan, fondateur du Royaume Céleste des Taiping
Sous l'autorité suprême du « Roi du Ciel » (天王), Hong Xiuquan, le territoire est partagé entre des chefs provinciaux appelés rois (王, Wang).
Initialement, il n'y en a que cinq : les Rois des quatre points cardinaux, et le Roi des Côtés (Yi Wang). Parmi les chefs provinciaux ainsi nommés dans les premiers temps du Royaume Taiping, deux, le Roi de l'Ouest, Xiao Chaogui, et le Roi du Sud, Feng Yunshan sont tués au combat en 1852. Le Roi de l'Est, Yang Xiuqing, est ensuite assassiné par le Roi du Nord, Wei Changhui, lors du massacre de Tianjing, en septembre-octobre 1856, suite à quoi le Roi du Nord, Wei Changhui est lui-même assassiné à son tour. Suite à ce massacre, le Roi des Côtés, Shi Dakai, quitte définitivement les Taiping accompagné de son armée.
Hong Xiuquan nomme alors de nouveaux chefs. Ce sont :
le roi de Zhong ( « Prince Loyal »), Li Xiucheng (1823–1864), capturé et exécuté par les Impériaux Qing ;
le roi de Ying (« Prince héroïque »), Chen Yucheng (1837–1862) ;
le roi de Gan, Hong Rengan (1822–1864, exécuté), cousin de Hong Xiuquan ;
le roi de Jun, Lai Wenkwok (1827–1868), qui, après la chute de Nankin, rejoindra la Révolte des Nian, dont il deviendra l'un des chefs ;
le roi de An, Hong Renfa, frère aîné de Hong Xiuquan ;
le roi de Fu, Hong Renda (exécuté par les Impériaux Qing en 1864), second frère aîné de Hong Xiuquan ;
le roi de Yong (勇王), Hong Rengui (洪仁貴), et bien d'autres encore, car, lors des dernières années de son règne, Hong Xiuquan distribue les titres de façon extrêmement généreuse.
Quant au fils aîné de Hong Xiuquan, le « Jeune Prince » Hong Tianguifu, il lui succède quelques mois avant la mort de Hong Xiuquan. Il est exécuté au mois d'octobre 1864.
Voici la hiérarchie des titres dans le Royaume céleste:
Roi céleste (Tiān Wáng), tout d'abord (Hong Xiuquan)
Rois (Wáng)
Marquis (Hóu)
Chancelier (Chéng Xiàng)
Grand secrétaire (Jiān dian)
Commandant (des armées) (Zhǐ Huī)
Général (Jiāng Jūn)
Tout ceci est extrêmement codifié, et se reflète dans les attributs de pouvoir auxquels a droit chaque niveau de cette hiérarchie. Les sceaux auxquels ont droit les différents dignitaires du royaume en sont un exemple : la taille en est strictement hiérarchisée, du plus grand (le Roi céleste) au plus petit, ainsi que leur matière (par exemple, sceau d'or pour les Rois, sceau d'argent pour les marquis, pour terminer par des sceaux en bois).
Les titres aussi reflètent clairement le pouvoir de chacun : Hong Xiuquan est le « Seigneur des dix mille ans », Yang Xiuqing est le « Seigneur des neuf mille ans », et les autres rois sont les « Seigneurs des cinq mille ans ». L'importance accordée aux titres se traduit par le fait que les Taiping porteurs du nom Wang (l'un des plus fréquents en Chine), qui veut dire « Roi », sont obligés d'accoler au sinogramme Wang (王) la « clé » du chien, 犭 (quǎn) (chien), pour éviter toute ambiguïté, au moins visuelle. Mais aussi les vêtements : Hong Xiuquan a le droit d'y faire figurer neuf dragons, Yang Xiuqing huit, et les autres rois, quatre seulement. Les palanquins : celui du Tian Wang, le Roi céleste Hong Xiuquan, est porté par 64 hommes, celui du Roi de l'Est Yang Xiuqing par 40 hommes, puis 32 pour les autres Rois, puis 16, 8 ou enfin 4 selon le rang. La taille des harems est liée directement au rang ; les deux plus importants sont ceux de Hong Xiuquan et de Yang Xiuqing. Les ornements de porte ont également leur rôle : deux dragons et un phénix sur la porte du Palais du Ciel, un dragon et un phénix sur la porte du Roi de l'Est (Yang Xiuqing), un dragon et un tigre pour les autres rois, un éléphant pour les chanceliers, un léopard sur un nuage pour les généraux, un léopard sur une montagne pour les autres officiers... Le concept de société égalitaire ne commence donc à s'appliquer qu'assez bas dans la hiérarchie.
Vêtement Qing ornés de dragons (réplique moderne)
Dans les très grandes villes, telles que Wuchang et Nankin, la séparation des sexes est appliquée de façon rigoureuse : les hommes sont logés dans un bâtiment, les femmes et les enfants dans un autre. Hommes et femmes sont regroupés dans ces bâtiments par groupes de 25 (appelés guan), en fonction de leur métier. Il y a donc des guan de maçons, de charpentiers, de tailleurs, ou encore de meuniers, de boulangers, et même de fabricants de sauce soja. Il y a également des guan d'« intérêt collectif », pour des métiers tels que médecins, pompiers, ou encore employé des pompes funèbres.
Les petites boutiques vendant de la viande, du poisson, ou du thé sont séparées selon le sexe des clients (une boutique pour les clients, une autre boutique pour les clientes) ; la police Taiping veille à l'application de la règle. À Nankin, la population réagit de façons différentes : si certains adhèrent au nouveau système, d'autres se cachent, ou s'enfuient, entraînant par exemple une pénurie de médecins, car beaucoup ont fui la ville.
Des agences gouvernementales spécialisées, dépendant des six ministères d'État (ministères du Ciel, de la Terre, du Printemps, de l'Été, de l'Automne et de l'Hiver), assurent un certain nombre de fonctions-clés : le fonctionnement des arsenaux (munitions et poudre), la construction des vaisseaux de guerre, la fabrication des vêtements de la Cour céleste, les approvisionnements en eau, en huile, en sel....
Dans le domaine du génie civil et militaire, la construction de maisons et même de palais passe au second rang des priorités : l'essentiel de l'effort est consacré aux fortifications des villes, que l'on construit ou que l'on améliore à grand renfort de main-d'œuvre.
Dans les faits, la mise en œuvre de l'administration Taiping se révèle particulièrement brutale. Un réfugié chinois, qui a fui le royaume des Taiping, explique les raisons de sa fuite :
« les habitants ont été avertis qu'ils seraient mis à mort s'ils ne se soumettaient pas dans un délai de trois jours. La moitié à peu près de la population s'est soumise. Rassemblés par groupe de 25, les habitants ont dû alors chanter des cantiques ; en cas d'erreur, les fautifs étaient frappés avec le manche d'un couteau. Le réveil est à 3 heures du matin pour les corvées ; pour ceux qui n'en ont pas la force, ils sont battus, parfois jusqu'à la mort. »
L'organisation des campagnes est assez différente:
Tout d'abord, la moindre importance des populations concernées ne permet pas la mise en place d'une séparation des différents corps de métier. D'ailleurs, la plupart des habitants des campagnes sont des paysans, pratiquant de toutes façons le même métier.
L'organisation n'est donc plus fondée sur les guan par métier, mais sur les « familles » :
pour quatre familles, il est adjoint la famille d'un caporal, formant ainsi une « unité familiale ». C'est le caporal qui a la responsabilité de l'unité familiale ;
pour 25 unités familiales, il y a un sergent, qui dirige la communauté ainsi formée ;
chacune de ces communautés doit avoir une chapelle, où réside le sergent, et un grenier à grain public.
Le jour du Sabbat, chaque caporal conduit à la chapelle sa famille, ainsi que les quatre autres dont il a la responsabilité. Là, dans la chapelle, hommes et femmes sont séparés. Les sergents prêchent alors, pendant que les familles écoutent, avant d'entonner des hymnes.
Dans toute la Chine, la terre est divisée en parts égales, en tenant compte de la qualité agricole des terres, classées selon leur rendement en neuf catégories; chaque homme et chaque femme de quinze ans révolus et plus recevra une part égale, auquel on ajoutera une demi-part par enfant de moins de 15 ans révolus. Chaque famille de chaque unité doit élever cinq poulet et deux truies. Des mûriers doivent pousser près des murs, pour que les femmes puissent élever les vers à soie pour en faire des vêtements. Chaque caporal veille à ce que chaque famille reçoive ce dont elle a besoin : vêtements, bétail, argent. Tout ce qui n'est pas ainsi distribué revient dans les coffres de l'État. Les sergents vérifient les comptes des caporaux et les présentent à leur supérieur. Enfin, lors des naissances, des mariages ou des décès, un cadeau est fait à chaque famille.
Une caractéristique essentielle de l'administration Taiping définie par le « Régime agraire de la Céleste Dynastie » est le cumul des pouvoirs par les différents officiels Taiping : leurs attributions sont en effet politiques, militaires, économiques, religieuses et même judiciaires. L'organisation Taiping est donc par essence une organisation totalitaire.
Ver à soie, dont les Taiping voulaient systématiser l'élevage
Dès 1853, après la prise de Nankin, le Royaume céleste bat monnaie, en émettant des pièces de 25 mm à 56 mm de diamètre. L'inscription 太平天囯 (pinyin : Taiping Tianguo, « Royaume céleste de la Grande Paix ») figure sur le côté face, et l'inscription 聖寶 (pinyin : Sheng Bao, « Trésor sacré ») se lit sur le côté pile.
Au lieu d'utiliser le caractère traditionnel 國 (guó, « pays ») figurant sur les monnaies chinoises, le Royaume céleste choisit d'utiliser un idéogramme un peu différent - mais significatif - le caractère 囯, qui figure un roi entouré d'une frontière. Ce caractère ressemble beaucoup au caractère simplifié 国 qui est depuis promu par la République populaire de Chine.
Ces pièces de monnaie de cuivre n'ont que peu de valeur, rendant nécessaire de les attacher en collier de 1 000 pièces, valant un liang d'argent (une once d'argent pur).
Par ailleurs, en 1861, l'état Taiping commence à émettre des billets de banque, libellés en taels ; ces billets de banque, d'une taille considérable (18 cm x 31 cm), ne sont imprimés que sur une seule face. Les soldats sont généreusement payés dans cette monnaie, qui a perdu presque toute sa valeur en 1864.
Bien que chrétien en apparence, le « Royaume céleste de la Grande Paix » a été tenu pour hérétique par la plupart des principales branches du christianisme.
Le fondateur du mouvement, Hong Xiuquan, avait tenté à plusieurs reprises et sans succès de passer l'examen de la fonction publique shengyuan.
En 1843, après l'ultime échec de Hong Xiuquan aux examens, il établit enfin un lien entre, d'une part, les brochures religieuses que lui avait données le missionnaire cantonnais Liang Afa en 1836 (qu'il avait finalement lues à l'instigation de son ami Li Jingfang), et d'autre part, les visions étranges qui l'avait hanté lors d'une crise de délire qui l'avait frappé en 1837 : il avait eu alors la vision d'un homme coiffé d'un chapeau à bords relevés, d'une robe noire, et portant une longue barbe dorée qui lui arrivait à la taille. Cet homme, qui se disait son père, lui avait remis une longue épée, appelée « Neige dans les nuages », ainsi qu'un sceau d'or, et, avec l'aide d'un homme plus jeune, auquel Hong Xiuquan s'adressait en l'appelant « frère aîné », il lui avait appris à combattre Yan Luo, le roi de l'Enfer, et ses démons.
Éclairé par ses lectures chrétiennes, il comprend soudainement que l'homme barbu était Dieu, que l'homme plus jeune était Jésus, et qu'il est lui-même le frère cadet de Jésus. Plus tard enfin, à la fin de 1849 ou au début de 1850, il se rendra compte que les démons n'étaient autres que les Qing et leurs serviteurs.
Hong Xiuquan et son cousin sont tous deux baptisés en accord avec le rituel prescrit dans le pamphlet « Bonnes paroles pour l'exhortation de notre époque ».
Il se forge alors une interprétation toute littérale de la Bible, qui bientôt donne lieu à une « théologie de l'Unicité », par laquelle il rejette la doctrine de la Sainte Trinité. Selon cette théorie, seul Dieu le Père est Dieu, Jésus-Christ n'étant que le « frère aîné » de Hong Xiuquan dans ce système de croyance.
L'adjoint de Hong Xiuquan, Yang Xiuqing, prend plus tard le titre de « Consolateur » et de « Vent de l'esprit saint », ce qui - Hong Xiuquan en convient - signifie que Yang Xiuqing est non seulement le porte-parole de Dieu le Père, mais est également le Saint-Esprit. L'authenticité de sa foi est cependant incertaine.
En s'appuyant sur ses lectures et sur les révélations qu'il avait eu, Hong Xiuquan ajoute un troisième Livre Saint aux deux premiers (l'Ancien et le Nouveau Testaments), pour constituer la Bible du Royaume céleste. Il écrit par ailleurs des annotations tant sur l'Ancien que sur le Nouveau Testament.
L'organisation d'un corps d'armée Taiping était la suivante:
1 général (Wade-Giles : Chün shuai)
5 colonels (Wade-Giles : Shih shuai)
25 capitaines (Wade-Giles : Lü shuai)
125 lieutenants (Wade-Giles : Tsu chang)
500 sergents (Wade-Giles : Liang ssu ma)
2 500 caporaux (Wade-Giles : Wu chang)
10 000 fantassins
Cette organisation, faisant appel au chiffre 5, reflète l'organisation mise en place dans les campagnes, fondée sur des « unités familiales » regroupant 5 fois 5 familles : en effet, chaque famille devait contribuer à l'armée Taiping en envoyant un soldat ; un corps d'armée était donc la force militaire correspondant à 13 156 familles.
Ces corps d'armée étaient placés dans des armées de tailles variables. En plus des principales armées Taiping, organisées selon les principes ci-dessus, il y avait aussi des milliers de partisans favorables aux Taiping qui formaient des troupes d'irréguliers.
Le nombre total d'hommes combattant dans l'armée des Taiping est difficile à estimer, et a d'ailleurs varié selon les périodes, mais les estimations se situent entre 1 000 000 et 3 000 000 hommes. La principale source contemporaine est celle fournie par Ling Shanqing, un fonctionnaire Taiping, selon laquelle « les 112 armées de l'insurrection Taiping comptaient en tout 3 085 021 hommes, officiers, combattants, serviteurs et secrétaires » ; les 3 000 000 hommes qu'auraient pu comporter les forces Taiping semblent donc bien un nombre maximum.
Une particularité très inhabituelle de l'armée des Taiping était le nombre de femmes important qu'elle comprenait, de l'ordre de 100 000 femmes combattant dans « l'Armée des Femmes » des Taiping.
Femmes Zhuang dans le Yunnan
Ethniquement, l'armée des Taiping était formé au début essentiellement de deux groupes : les Hakka, un sous-groupe de la population Han (客家 ; pinyin : kèjiā, littéralement : « familles invitées »), et les Zhuang (chinois : 壯族 ; chinois simplifié : 壮族 ; pinyin: Zhuàngzú), un groupe ethnique non Han.
Ces deux groupes constituaient des minorités par rapport à la population Han dominante dans la Chine du sud. Ce n'est donc pas un hasard que Hong Xiuquan et les autres princes Taiping aient été des Hakka.
Comme leur nom de « familles invitées » le suggère, les Hakka étaient considérés comme des immigrés de fraiche date, souvent soumis aux moqueries et à l'hostilité de la majorité Han. En tant que derniers arrivants, ils ne cultivaient bien souvent que les terres les plus pauvres. C'est pourquoi les Hakka ont historiquement montré une beaucoup plus grande propension à la révolte que d'autres populations Han.
Quant aux Zhuang, c'est une population indigène d'origine Tai, qui constitue la population non-Han la plus importante de Chine. Peu à peu, au cours des siècles, les communautés Zhuang ont assimilé la culture Han. Ceci put se faire sans trop de difficultés, même si la langue parlée par les Zhuang n'a rien à voir avec le chinois, car la culture Han de la région témoigne d'une grande diversité linguistique, dont elle s'accommode facilement.
Cependant, une certaine tension entre Han et Zhuang était inévitable, menant parfois à des rébellions de la part des Zhuang.
Socialement et économiquement, les Taiping venaient presque exclusivement des classes les plus humbles. Beaucoup des soldats Taiping du Sud étaient d'anciens mineurs, particulièrement ceux d'origine Zhuang. Très peu de Taiping, même parmi leurs chefs, venaient de la bureaucratie impériale. Pratiquement aucun n'était propriétaire terrien, lesquels propriétaires terriens étaient d'ailleurs bien souvent exécutés dans les territoires occupés par les Taiping. En cela, l'armée des Taiping était fort proche de l'Armée populaire de libération du XXe siècle.
Il s'avéra vite que les généraux Taiping témoignaient d'une habileté militaire supérieure à celle de la plupart des généraux Qing.
Les principaux généraux Taiping furent les suivants :
lors des débuts, de 1851 à 1854 : Xiao Chaogui, Wei Changhui, Shi Dakai, Qin Rigang, Lin Qirong (林啟榮), Lai Hanying (賴漢英), Zeng Tianyang (曾天養), Li Kaifang, Luo Dagang (羅大綱) ;
de 1855 à 1859 : Li Xiucheng, Chen Yucheng, Yang Fuqing, Wei Jun, Li Shixian, Ye Yunlai, Huang Chengzhong, Liu Chunlin (劉瑲琳) ;
vers la fin, de 1860 à 1864 : Li Rongfa, Lai Wenkwok, Chen Kunshu.
À la tête de l'ensemble des forces armées Taiping se trouvait le Conseiller Militaire (軍師). Celui-ci fut tout d'abord Yang Xiuqing, puis, après l'assassinat de ce dernier en 1856, et le départ de Shi Dakai en 1857, le poste de Conseiller Militaire resta inoccupé.
L'armée régulière alignait au moins 2 000 000 hommes, mal entraînés, mal payés, mal équipés, et de plus — dans le cas de l'armée de l’Étendard vert, composée presque exclusivement de Chinois Han, à la différence des Huit Bannières mandchoues — peu motivés à se battre pour une dynastie mandchoue qui avait montré son incompétence et sa corruption.
L’armée de Xiang alignait 360 000 hommes environ en 1860 ; cependant, l'empereur Qing se rend vite compte de sa nette supériorité sur l'Étendard vert, et même sur les Bannières mandchoues, et augmente en conséquence son champ d'action, initialement limité au Hunan, pour l'étendre à d'autres provinces en lieu et place de l'armée régulière.
« L’Armée toujours victorieuse » enfin, toute petite avec ses 5 000 hommes, mais d'une grande efficacité, et affrontant régulièrement avec succès des forces Taiping dix fois plus nombreuses. Mais la petite armée formée par Ward était entraînée et équipée à l'occidentale, et disposait du meilleur armement disponible ; disciplinée et mobile, elle était appuyée par une flottille de canonnières et des moyens de transport.
La « bannière jaune à bordure », emblème d'une des unités d'élite de l'armée mandchoue traditionnelle.
C'est après l'installation de leur capitale à Nankin, en 1853, que les Taiping promulguent un édit intitulé « Régime agraire de la dynastie céleste », définissant un programme complet de réorganisation de la société, et non pas uniquement de l'agriculture. La plupart des mesures ci-dessous figurent en effet dans ce programme, qui précise également l'organisation et l'administration à mettre en place dans les villes et les campagnes:
la propriété privée est abolie et toutes les terres sont désormais détenues et réparties par l'État. Ce programme rappelle quelque peu le programme de la révolution « communiste » que Wang Mang avait mis en œuvre deux mille ans plus tôt, en l'an 9 après Jésus-Christ (mais au nom des principes confucéens) ; les terres, les moyens de culture, et les récoltes (en particulier en cas de pénurie) sont mises en commun;
les terres sont données à cultiver, à titre précaire, de façon strictement égalitaire pour toute personne âgée de 15 ans révolus et plus ;
les sexes sont déclarés égaux. Ce fut le tout premier régime chinois à admettre que les femmes se présentent aux examens pour entrer dans la fonction publique. De même, les femmes ont les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne la répartition des terres;
les sexes sont rigoureusement séparés ; il y a des unités militaires uniquement constituées de femmes. Jusqu'en mars 1855, même les couples mariés n'ont pas le droit de vivre ensemble ou d'avoir des relations sexuelles; les visites sont permises, à condition de se parler à voix haute et sans franchir le seuil. Il est interdit aux hommes de donner leur vêtements à laver ou à recoudre à une femme, car « avec un contact aussi intime, des relations amoureuses ne pourraient être évitées». La séparation des sexes est abandonnée en mars 1855. On organise alors à Nankin des mariages par tirage au sort. À cette occasion, les grands dignitaires ont droit à 10 femmes chacun, et Hong Xiuquan ainsi que Yang Xiuqing à beaucoup plus. Le fils de Hong Xiuquan, lorsqu'il atteint l'âge de 9 ans, en reçoit 4. Environ un millier de femmes se suicident pour échapper aux mariages ainsi organisés; ;
le pays est doté d'une organisation et d'une hiérarchie militaire, prévoyant la centralisation de toutes les activités au niveau national, et ne laissant pas de place aux droits individuels ou aux prérogatives locales ;
le bandage des pieds des femmes est interdit (les Hakka n'avaient jamais suivi cette tradition Han, et par conséquent, les femmes Hakka avaient toujours pu participer aux travaux des champs) ;
l'homosexualité masculine est punie de mort pour toute personne âgée de quinze ans révolus ou plus;
la natte imposée aux chinois Han par le régime mandchou est abandonnée au profit de la chevelure longue ;
le sujet d'étude comptant pour les examens d'entrée dans la fonction publique est désormais la Bible, et non plus les « classiques » confucéens ;
la langue chinoise est simplifiée ;
la détention et la propagation des classiques confucéens sont interdites, de même que la simple référence à leur contenu ;
les images d’« idoles » sont détruites (représentations bouddhistes, taoïstes...);
un calendrier solaire remplace le traditionnel calendrier lunaire ;
d'autres mesures sont promulguées, qui comprennent la prohibition de l'opium, du jeu, du tabac, de l'alcool, ainsi que l'interdiction de la polygamie (y compris le concubinage), de l'esclavage, des mariages forcés, de la prostitution, de l'abandon des petites filles, de l'adultère et de la sorcellerie ; les dots sont par ailleurs supprimées. Les sanctions en cas de non-respect de ces lois sont draconiennes ; ainsi le fait de fumer est puni de 100 coups de fouet à la première infraction, de 1 000 coups de fouet à la seconde, et de la peine de mort à la troisième.
Mais toute cette législation se révèle remarquablement inefficace, et d'ailleurs appliquée brutalement et sans discernement. Tous les efforts sont en fait concentrés sur l'armée, et l'administration civile est des plus médiocres. Les nouvelles règles sont mises en place dans les principales villes, mais sans grand souci de les appliquer dans les campagnes, que les Taiping contrôlent d'ailleurs fort mal.
Hong Xiuquan, fondateur du Royaume Céleste des Taiping
Sous l'autorité suprême du « Roi du Ciel » (天王), Hong Xiuquan, le territoire est partagé entre des chefs provinciaux appelés rois (王, Wang).
Initialement, il n'y en a que cinq : les Rois des quatre points cardinaux, et le Roi des Côtés (Yi Wang). Parmi les chefs provinciaux ainsi nommés dans les premiers temps du Royaume Taiping, deux, le Roi de l'Ouest, Xiao Chaogui, et le Roi du Sud, Feng Yunshan sont tués au combat en 1852. Le Roi de l'Est, Yang Xiuqing, est ensuite assassiné par le Roi du Nord, Wei Changhui, lors du massacre de Tianjing, en septembre-octobre 1856, suite à quoi le Roi du Nord, Wei Changhui est lui-même assassiné à son tour. Suite à ce massacre, le Roi des Côtés, Shi Dakai, quitte définitivement les Taiping accompagné de son armée.
Hong Xiuquan nomme alors de nouveaux chefs. Ce sont :
le roi de Zhong ( « Prince Loyal »), Li Xiucheng (1823–1864), capturé et exécuté par les Impériaux Qing ;
le roi de Ying (« Prince héroïque »), Chen Yucheng (1837–1862) ;
le roi de Gan, Hong Rengan (1822–1864, exécuté), cousin de Hong Xiuquan ;
le roi de Jun, Lai Wenkwok (1827–1868), qui, après la chute de Nankin, rejoindra la Révolte des Nian, dont il deviendra l'un des chefs ;
le roi de An, Hong Renfa, frère aîné de Hong Xiuquan ;
le roi de Fu, Hong Renda (exécuté par les Impériaux Qing en 1864), second frère aîné de Hong Xiuquan ;
le roi de Yong (勇王), Hong Rengui (洪仁貴), et bien d'autres encore, car, lors des dernières années de son règne, Hong Xiuquan distribue les titres de façon extrêmement généreuse.
Quant au fils aîné de Hong Xiuquan, le « Jeune Prince » Hong Tianguifu, il lui succède quelques mois avant la mort de Hong Xiuquan. Il est exécuté au mois d'octobre 1864.
Voici la hiérarchie des titres dans le Royaume céleste:
Roi céleste (Tiān Wáng), tout d'abord (Hong Xiuquan)
Rois (Wáng)
Marquis (Hóu)
Chancelier (Chéng Xiàng)
Grand secrétaire (Jiān dian)
Commandant (des armées) (Zhǐ Huī)
Général (Jiāng Jūn)
Tout ceci est extrêmement codifié, et se reflète dans les attributs de pouvoir auxquels a droit chaque niveau de cette hiérarchie. Les sceaux auxquels ont droit les différents dignitaires du royaume en sont un exemple : la taille en est strictement hiérarchisée, du plus grand (le Roi céleste) au plus petit, ainsi que leur matière (par exemple, sceau d'or pour les Rois, sceau d'argent pour les marquis, pour terminer par des sceaux en bois).
Les titres aussi reflètent clairement le pouvoir de chacun : Hong Xiuquan est le « Seigneur des dix mille ans », Yang Xiuqing est le « Seigneur des neuf mille ans », et les autres rois sont les « Seigneurs des cinq mille ans ». L'importance accordée aux titres se traduit par le fait que les Taiping porteurs du nom Wang (l'un des plus fréquents en Chine), qui veut dire « Roi », sont obligés d'accoler au sinogramme Wang (王) la « clé » du chien, 犭 (quǎn) (chien), pour éviter toute ambiguïté, au moins visuelle. Mais aussi les vêtements : Hong Xiuquan a le droit d'y faire figurer neuf dragons, Yang Xiuqing huit, et les autres rois, quatre seulement. Les palanquins : celui du Tian Wang, le Roi céleste Hong Xiuquan, est porté par 64 hommes, celui du Roi de l'Est Yang Xiuqing par 40 hommes, puis 32 pour les autres Rois, puis 16, 8 ou enfin 4 selon le rang. La taille des harems est liée directement au rang ; les deux plus importants sont ceux de Hong Xiuquan et de Yang Xiuqing. Les ornements de porte ont également leur rôle : deux dragons et un phénix sur la porte du Palais du Ciel, un dragon et un phénix sur la porte du Roi de l'Est (Yang Xiuqing), un dragon et un tigre pour les autres rois, un éléphant pour les chanceliers, un léopard sur un nuage pour les généraux, un léopard sur une montagne pour les autres officiers... Le concept de société égalitaire ne commence donc à s'appliquer qu'assez bas dans la hiérarchie.
Vêtement Qing ornés de dragons (réplique moderne)
Dans les très grandes villes, telles que Wuchang et Nankin, la séparation des sexes est appliquée de façon rigoureuse : les hommes sont logés dans un bâtiment, les femmes et les enfants dans un autre. Hommes et femmes sont regroupés dans ces bâtiments par groupes de 25 (appelés guan), en fonction de leur métier. Il y a donc des guan de maçons, de charpentiers, de tailleurs, ou encore de meuniers, de boulangers, et même de fabricants de sauce soja. Il y a également des guan d'« intérêt collectif », pour des métiers tels que médecins, pompiers, ou encore employé des pompes funèbres.
Les petites boutiques vendant de la viande, du poisson, ou du thé sont séparées selon le sexe des clients (une boutique pour les clients, une autre boutique pour les clientes) ; la police Taiping veille à l'application de la règle. À Nankin, la population réagit de façons différentes : si certains adhèrent au nouveau système, d'autres se cachent, ou s'enfuient, entraînant par exemple une pénurie de médecins, car beaucoup ont fui la ville.
Des agences gouvernementales spécialisées, dépendant des six ministères d'État (ministères du Ciel, de la Terre, du Printemps, de l'Été, de l'Automne et de l'Hiver), assurent un certain nombre de fonctions-clés : le fonctionnement des arsenaux (munitions et poudre), la construction des vaisseaux de guerre, la fabrication des vêtements de la Cour céleste, les approvisionnements en eau, en huile, en sel....
Dans le domaine du génie civil et militaire, la construction de maisons et même de palais passe au second rang des priorités : l'essentiel de l'effort est consacré aux fortifications des villes, que l'on construit ou que l'on améliore à grand renfort de main-d'œuvre.
Dans les faits, la mise en œuvre de l'administration Taiping se révèle particulièrement brutale. Un réfugié chinois, qui a fui le royaume des Taiping, explique les raisons de sa fuite :
« les habitants ont été avertis qu'ils seraient mis à mort s'ils ne se soumettaient pas dans un délai de trois jours. La moitié à peu près de la population s'est soumise. Rassemblés par groupe de 25, les habitants ont dû alors chanter des cantiques ; en cas d'erreur, les fautifs étaient frappés avec le manche d'un couteau. Le réveil est à 3 heures du matin pour les corvées ; pour ceux qui n'en ont pas la force, ils sont battus, parfois jusqu'à la mort. »
L'organisation des campagnes est assez différente:
Tout d'abord, la moindre importance des populations concernées ne permet pas la mise en place d'une séparation des différents corps de métier. D'ailleurs, la plupart des habitants des campagnes sont des paysans, pratiquant de toutes façons le même métier.
L'organisation n'est donc plus fondée sur les guan par métier, mais sur les « familles » :
pour quatre familles, il est adjoint la famille d'un caporal, formant ainsi une « unité familiale ». C'est le caporal qui a la responsabilité de l'unité familiale ;
pour 25 unités familiales, il y a un sergent, qui dirige la communauté ainsi formée ;
chacune de ces communautés doit avoir une chapelle, où réside le sergent, et un grenier à grain public.
Le jour du Sabbat, chaque caporal conduit à la chapelle sa famille, ainsi que les quatre autres dont il a la responsabilité. Là, dans la chapelle, hommes et femmes sont séparés. Les sergents prêchent alors, pendant que les familles écoutent, avant d'entonner des hymnes.
Dans toute la Chine, la terre est divisée en parts égales, en tenant compte de la qualité agricole des terres, classées selon leur rendement en neuf catégories; chaque homme et chaque femme de quinze ans révolus et plus recevra une part égale, auquel on ajoutera une demi-part par enfant de moins de 15 ans révolus. Chaque famille de chaque unité doit élever cinq poulet et deux truies. Des mûriers doivent pousser près des murs, pour que les femmes puissent élever les vers à soie pour en faire des vêtements. Chaque caporal veille à ce que chaque famille reçoive ce dont elle a besoin : vêtements, bétail, argent. Tout ce qui n'est pas ainsi distribué revient dans les coffres de l'État. Les sergents vérifient les comptes des caporaux et les présentent à leur supérieur. Enfin, lors des naissances, des mariages ou des décès, un cadeau est fait à chaque famille.
Une caractéristique essentielle de l'administration Taiping définie par le « Régime agraire de la Céleste Dynastie » est le cumul des pouvoirs par les différents officiels Taiping : leurs attributions sont en effet politiques, militaires, économiques, religieuses et même judiciaires. L'organisation Taiping est donc par essence une organisation totalitaire.
Ver à soie, dont les Taiping voulaient systématiser l'élevage
Dès 1853, après la prise de Nankin, le Royaume céleste bat monnaie, en émettant des pièces de 25 mm à 56 mm de diamètre. L'inscription 太平天囯 (pinyin : Taiping Tianguo, « Royaume céleste de la Grande Paix ») figure sur le côté face, et l'inscription 聖寶 (pinyin : Sheng Bao, « Trésor sacré ») se lit sur le côté pile.
Au lieu d'utiliser le caractère traditionnel 國 (guó, « pays ») figurant sur les monnaies chinoises, le Royaume céleste choisit d'utiliser un idéogramme un peu différent - mais significatif - le caractère 囯, qui figure un roi entouré d'une frontière. Ce caractère ressemble beaucoup au caractère simplifié 国 qui est depuis promu par la République populaire de Chine.
Ces pièces de monnaie de cuivre n'ont que peu de valeur, rendant nécessaire de les attacher en collier de 1 000 pièces, valant un liang d'argent (une once d'argent pur).
Par ailleurs, en 1861, l'état Taiping commence à émettre des billets de banque, libellés en taels ; ces billets de banque, d'une taille considérable (18 cm x 31 cm), ne sont imprimés que sur une seule face. Les soldats sont généreusement payés dans cette monnaie, qui a perdu presque toute sa valeur en 1864.
Bien que chrétien en apparence, le « Royaume céleste de la Grande Paix » a été tenu pour hérétique par la plupart des principales branches du christianisme.
Le fondateur du mouvement, Hong Xiuquan, avait tenté à plusieurs reprises et sans succès de passer l'examen de la fonction publique shengyuan.
En 1843, après l'ultime échec de Hong Xiuquan aux examens, il établit enfin un lien entre, d'une part, les brochures religieuses que lui avait données le missionnaire cantonnais Liang Afa en 1836 (qu'il avait finalement lues à l'instigation de son ami Li Jingfang), et d'autre part, les visions étranges qui l'avait hanté lors d'une crise de délire qui l'avait frappé en 1837 : il avait eu alors la vision d'un homme coiffé d'un chapeau à bords relevés, d'une robe noire, et portant une longue barbe dorée qui lui arrivait à la taille. Cet homme, qui se disait son père, lui avait remis une longue épée, appelée « Neige dans les nuages », ainsi qu'un sceau d'or, et, avec l'aide d'un homme plus jeune, auquel Hong Xiuquan s'adressait en l'appelant « frère aîné », il lui avait appris à combattre Yan Luo, le roi de l'Enfer, et ses démons.
Éclairé par ses lectures chrétiennes, il comprend soudainement que l'homme barbu était Dieu, que l'homme plus jeune était Jésus, et qu'il est lui-même le frère cadet de Jésus. Plus tard enfin, à la fin de 1849 ou au début de 1850, il se rendra compte que les démons n'étaient autres que les Qing et leurs serviteurs.
Hong Xiuquan et son cousin sont tous deux baptisés en accord avec le rituel prescrit dans le pamphlet « Bonnes paroles pour l'exhortation de notre époque ».
Il se forge alors une interprétation toute littérale de la Bible, qui bientôt donne lieu à une « théologie de l'Unicité », par laquelle il rejette la doctrine de la Sainte Trinité. Selon cette théorie, seul Dieu le Père est Dieu, Jésus-Christ n'étant que le « frère aîné » de Hong Xiuquan dans ce système de croyance.
L'adjoint de Hong Xiuquan, Yang Xiuqing, prend plus tard le titre de « Consolateur » et de « Vent de l'esprit saint », ce qui - Hong Xiuquan en convient - signifie que Yang Xiuqing est non seulement le porte-parole de Dieu le Père, mais est également le Saint-Esprit. L'authenticité de sa foi est cependant incertaine.
En s'appuyant sur ses lectures et sur les révélations qu'il avait eu, Hong Xiuquan ajoute un troisième Livre Saint aux deux premiers (l'Ancien et le Nouveau Testaments), pour constituer la Bible du Royaume céleste. Il écrit par ailleurs des annotations tant sur l'Ancien que sur le Nouveau Testament.