Le déserteur , Boris Vian, 1953
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
II faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter.
Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu'elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer
Nous avons imaginé , pour travailler sur l'argumentation et la lettre, le texte du conseiller municipal. " C'est assez drôle de se mettre dans la peau d'un homme dont on ne partage pas les idées. On a très envie de le rendre ridicule.."
Pour ce faire, nous avons d'abord "inventé" la vie, le caractère, les habitudes de ce conseiller municipal.
Voici un exemple de ce travail de préparation.
Monsieur Paul FABER Paris, le 19 mai 1955
Conseiller Municipal de la Ville de Paris
A Monsieur Boris VIAN
Monsieur,
A mon grand regret, je vous annonce la censure de votre texte "Le Déserteur," adapté en chanson par Monsieur MOULOUDJI.
Ce n'est pas la jolie mélodie qui l'accompagne, ni le timbre de voix de son
interprète qui m'amènent à cette douloureuse décision, mais les propos offensants qui y sont tenus.
Je suis indigné par votre arrogance et votre impertinence à l'égard de notre Gouvernement. Notre bien-aimé Président, cet homme valeureux, a dignement servi sa Patrie lors de la Grande Guerre. Il est de fait, entré dans l'Histoire de la France . Lui seul a su comprendre ses compatriotes. Ainsi, ne mérite-t-il pas votre ironie malsaine en guise de reconnaissance, même en version poétique que j'imagine, vous qualifierez d'idéaliste.
Tout comme notre Cher Président, je fais partie des Anciens Combattants ; j'ai servi mon pays avec bravoure et courage, au péril de ma vie. Je n'ai jamais fléchi à mon devoir de soldat. Votre incitation à la désertion me paraît donc une grave insulte !
Insulte comme je l'ai dit, à notre Président, mais aussi à la Patrie, aux Anciens
Combattants et à tous ceux qui sont tombés pour la France. Tous ceux qui , pour ne dire que quelques mots, sont tombés pour notre Liberté!
Et pensez bien, Monsieur le Poète, que déserter est un sacrilège, déserter est même l'acte ultime de trahison envers son pays. En cas de guerre, son auteur serait immédiatement passé par les armes.
Songez-y, Monsieur le Fantasque!
Pour faire une bonne guerre, il faut que nos garçons soient motivés par leurs familles, leurs amis, leur Gouvernement, leurs Généraux, enfin par la Nation : leur Mère !
Que la France entière soit en cœur avec ses enfants!
Sachez que l'on ne fait pas la guerre à coups de quatrains ! C'est toute une stratégie!
Dites-vous bien que notre objectif premier n'est certainement pas d'envoyer nos soldats à la
mort. Il faut réfléchir, élaborer des plans, énumérer les nombreuses possibilités d'attaques, mais aussi des plans de défense et d'offensive qui mènent à la Victoire.
Nous songeons bien sûr, avec fierté, à ces braves, nos braves ,qui se battent pour l'honneur des Français et qui défendent notre territoire avec force et courage. Hélas pour certains, ce beau combat conduit au sacrifice.
Nous commémorons d'ailleurs nos chers disparus et compatissons à la peine des mères, des veuves, des orphelins.
Mais libre à vous de nous proposer vos suggestions, si toutefois vous pensez
qu'elles permettent de faire une guerre sans pertes humaines. Vos utopiques idées paraissent bien belles en théorie… mais, le seraient-elles en pratique ? Imaginez le monde si les armées n'étaient composées que de vos déserteurs…
Non, Monsieur le Rêveur, Non ! Ce serait l'ANARCHIE !
Je ne salue pas votre bravoure.
Paul FABER
NB : Etant moi-même poète à mes heures, je me suis permis de revisiter vos vers et
d'en faire un hymne patriotique, dédié à nos braves soldats.
Monsieur le Président, Ma Patrie est en guerre S'il faut donner son sang
Je vous fais une lettre Je suis son défenseur Allons donner le notre
Que vous lirez peut-être Je vais d'un pas rageur Nous sommes vos apôtres
Si vous avez le temps Battre nos adversaires Monsieur le Président
Je viens de recevoir Si je suis prisonnier Préparez vos armées
Mes papiers militaires Mon cœur restera fier Ennemis de la France
Pour partir à la guerre Et fidèle à ma Terre Soyons la Providence
Avant mercredi soir A tout mon cher passé Soyons prêts à tirer !
Monsieur le Président Demain, mes compagnons
C'est un honneur sur terre Ne craignons pas la mort
De défendre ma Terre Ne formons qu'un seul corps
Et de sauver les gens Au sein du peloton
Je suis un bon Français Joignant mon régiment
Un très bon patriote Sur les routes de France
Je marche tête haute De Bretagne en Provence
Je ne peux déserter Je parlerai aux gens :
Depuis que je suis né Défendons le pays
J'ai vu lutter mon père Suivons le bel exemple
Et résister mes frères Des Anciens Combattants
Ma mère est Liberté Qui sont tombés aussi
Voila ma source pour la lettre
http://archives.site.free.fr/siteportai ... erteur.htm