Charles Baudelaire
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- Fleurdelys
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Re: Charles Baudelaire
Heureuse de voir que nous avons des goûts en commun... est-ce notre côté humaniste qui fait qu'on aime ce poète exceptionnel et magistral ?Mark a écrit :Un seul mot définit Charles Baudelaire dans mon coeur: je l'adore !
- Harry Tuttle
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Ce gars-là avait un génie d'une puissance inégalée :
Les sept vieillards
A Victor Hugo
Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,
Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.
Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.
Il n'était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,
Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,
Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.
Son pareil le suivait : barbe, oeil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.
A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait !
Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel,
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel !
Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième.
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ?
- Mais je tournai le dos au cortège infernal.
Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l'absurdité !
Vainement ma raison voulait prendre la barre ;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !
Les sept vieillards
A Victor Hugo
Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,
Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.
Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.
Il n'était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,
Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,
Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.
Son pareil le suivait : barbe, oeil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.
A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait !
Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel,
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel !
Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième.
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ?
- Mais je tournai le dos au cortège infernal.
Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l'absurdité !
Vainement ma raison voulait prendre la barre ;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !
Comme les anges à l'œil fauve
Je reviendrai dans ton alcôve
Et vers toi glisserai sans bruit
Avec les ombres de la nuit
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- grumpythedwarf
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- Harry Tuttle
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Pour ma part, je dirais même que je suis heureux d'avoir été élevé dans la langue française ne serait-ce que pour avoir accès au talent monstre de Charles Baudelaire.grumpythedwarf a écrit :Quand je vous le disais, ce type avait une puissance évocatrice surnaturelle. Pour moi, il est inégalé en langue française.
Relisez les quatre "Spleen"...
J'ai surtout en tête le Spleen qui commence par "Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis...", mais je vais me replonger dans les trois autres.
Je me délecte aussi souvent du ton sérieux comme une architecture romaine des premiers vers des Fleurs du Mal, c'est-à-dire le début du Bénédiction.
Quelle entrée en matière!
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- Harry Tuttle
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- Inscription : ven. avr. 10, 2009 9:40 am
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Les Fleurs du mal est un livre assez simple, direct, qui ne fait pas dans la poésie à l'eau de rose. De plus, une fois que tu en as un exemplaire chez-toi, tu vas le relire toute ta vie, si toutefois tu es capable de supporter la force des thèmes abordés.leolo a écrit :Il y a beaucoup de membres qui ont beaucoup de connaissances en littérature française, ici.
Je devrais m'y mettre.
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- Hyppolite20093
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La jeune fille, ce qu'elle est en réalité; une petite sotte et une petite salope; la plus grande imbécilité unie à la plus grande dépravation; il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.
Charles Baudelaire
Ce grand poète n'en était pas moins un être d'une grande misogynie et l'on connaît tous son grand amour pour les «lui-même».
Émile Nelligan du Québec est bien aussi.
Charles Baudelaire
Ce grand poète n'en était pas moins un être d'une grande misogynie et l'on connaît tous son grand amour pour les «lui-même».
Émile Nelligan du Québec est bien aussi.
Des fois, plus ça change plus c'est pareil.
Quand on ne sait pas où on va, on va nul part.
Paul Watzlawick
Quand on ne sait pas où on va, on va nul part.
Paul Watzlawick
- Harry Tuttle
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- Inscription : ven. avr. 10, 2009 9:40 am
- Localisation : Québec
Remords posthume
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ;
Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton cœur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,
Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,
Te dira : " Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? "
- Et le ver rongera ta peau comme un remords.
Comme les anges à l'œil fauve
Je reviendrai dans ton alcôve
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Avec les ombres de la nuit
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- pépita
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- Inscription : sam. févr. 20, 2010 2:06 pm
- Localisation : Oise - France
Mysogine Charles Baudelaire ? Sans doute.
Ses poèmes nous laissent entrevoir un être profondement torturé et pessimiste.
Tous les génies, qu'ils soient poètes ou peintres, sont des personnages extrêmement sensibles, qui passent de la joie à la tristesse et au désespoir, ingrédients visiblement indispensables pour faire d'un poème ou d'une toile un chef-d'oeuvre.
Citation de Charles Baudelaire :
"La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s'assimiler à la science ou à la morale; elle n'a pas la Vérité pour objet, elle n'a qu'Elle-même."
Ses poèmes nous laissent entrevoir un être profondement torturé et pessimiste.
Tous les génies, qu'ils soient poètes ou peintres, sont des personnages extrêmement sensibles, qui passent de la joie à la tristesse et au désespoir, ingrédients visiblement indispensables pour faire d'un poème ou d'une toile un chef-d'oeuvre.
Citation de Charles Baudelaire :
"La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s'assimiler à la science ou à la morale; elle n'a pas la Vérité pour objet, elle n'a qu'Elle-même."
"Si l'on te frappe sur la joue gauche, ignore ce que tu fais de ta main droite..."
"Tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut sortir la poubelle"
"Tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut sortir la poubelle"
- Hyppolite20093
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- Inscription : mer. nov. 18, 2009 4:59 pm
- Localisation : Trois-Rivières
Comme dirait Le Prophète de Kalhil Gibran: C'est dans le creu de mes plus grandes tristesses que je puises mes plus gandes joies !pépita a écrit :Mysogine Charles Baudelaire ? Sans doute.
Ses poèmes nous laissent entrevoir un être profondement torturé et pessimiste.
Tous les génies, qu'ils soient poètes ou peintres, sont des personnages extrêmement sensibles, qui passent de la joie à la tristesse et au désespoir, ingrédients visiblement indispensables pour faire d'un poème ou d'une toile un chef-d'oeuvre.
Citation de Charles Baudelaire :
"La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s'assimiler à la science ou à la morale; elle n'a pas la Vérité pour objet, elle n'a qu'Elle-même."
Des fois, plus ça change plus c'est pareil.
Quand on ne sait pas où on va, on va nul part.
Paul Watzlawick
Quand on ne sait pas où on va, on va nul part.
Paul Watzlawick
- Harry Tuttle
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- Inscription : ven. avr. 10, 2009 9:40 am
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Hyppolite20093 a écrit :
Comme dirait Le Prophète de Kalhil Gibran: C'est dans le creu de mes plus grandes tristesses que je puises mes plus gandes joies !
Le mauvais moine
Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles
Etalaient en tableaux la sainte Vérité,
Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles,
Tempérait la froideur de leur austérité.
En ces temps où du Christ florissaient les semailles,
Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité,
Prenant pour atelier le champ des funérailles,
Glorifiait la Mort avec simplicité.
- Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,
Depuis l'éternité je parcours et j'habite ;
Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.
Ô moine fainéant ! quand saurai-je donc faire
Du spectacle vivant de ma triste misère
Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux ?
- Charles Baudelaire
Comme les anges à l'œil fauve
Je reviendrai dans ton alcôve
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- grumpythedwarf
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- Inscription : dim. sept. 06, 2009 5:14 pm
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Harry, t'es un vrai fan de Baudelaire !
Il ne te manques plus que d'être un fana de Chopin à mon goût, quoique que Berlioz s'accomode mieux du fabuleux Charles !
Se débarraser des scories, et venir à l'essentiel, et tout sera dit, par Toutatis !
Il ne te manques plus que d'être un fana de Chopin à mon goût, quoique que Berlioz s'accomode mieux du fabuleux Charles !
Se débarraser des scories, et venir à l'essentiel, et tout sera dit, par Toutatis !
" Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter"
CIORAN.
CIORAN.